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Flandres – début XXè siècle
″Les boutiques″
Tatillonnes et frénétiques,
Les sonnettes dansent à l’huis
Des petites boutiques,
Les sonnettes de la Saint-Guy.

On n’entend qu’elles
Dans les ruelles,
Les jours de foire et de marché ;
Elles se hèlent et s’interpellent
Depuis l’aube jusqu’au soleil couché.

[…]

La fièvre étreint tous les comptoirs ;
Mais, du matin jusqu’au soir,
Quoi qu’on débite et qu’on achète,
Les sonnettes mènent la fête
Et dominent le branle-bas
Des coups têtus de leur délire.

Et l’une tinte, ainsi qu’un glas,
Et l’autre éclate, ainsi qu’un rire,
Et d’autres font des bonds de sons,
Qui tout au loin se répercutent,
Sitôt que leurs battants se buttent
Au bronze vert de leurs jupons.

[…]
(Extraits Emile Verhaeren, ″Toute la Flandre vol. II, les Villes à pignons″, (1910), Mercure de France, Paris, neuvième édition, 1920, pp. 139-141.)

Londres, vers 1900
sur le fond du bruit de la rue, pas des chevaux, crissement des roues, se détachaient le tintement métallique des harnais agités.
(Virginia Woolf, in: "Voyager avec Virginia Woolf, promenades européennes", La Quinzaine Littéraire . Louis Vuitton, 1994, p. 31)

Vienne – vers 1900
Du fond des étroites rues, les autos filaient dans la clarté des places sans profondeur. La masse sombre des piétons se divisait en cordons nébuleux. Aux points où les droites plus puissantes de la vitesse croisaient leur hâte flottante, ils s’épaississaient, puis s’écoulaient plus vite et retrouvaient, après quelques hésitations, leur pouls normal.
L’enchevêtrement d’innombrables sons créait un grand vacarme barbelé aux arêtes tantôt tranchantes tantôt émoussées, confuse mare d’où saillait une pointe ici ou là et d’où se détachaient comme des éclats, puis se perdaient, ses notes plus claires. A ce seul bruit, sans qu’on en pût définir pourtant la singularité, un voyageur eût reconnu les yeux fermés qu’il se trouvait à Vienne, capitale et résidence de l’Empire.
(Robert Musil, "L’homme sans qualité", Seuil, Paris, 1979, pp. 9-10. [trad. Ph. Jaccottet])

Malines – vers 1900
A peine étions-nous sortis de la gare et étions-nous entrés dans la large rue qui conduit à la cathédrale que Kurth, tendant l'oreille et écoutant, s'écria:
Tiens! le carillon de Malines […].
En Danemark on s'est plaint amèrement de la mélodie que joue la tour de l'Hôtel de ville à Copenhague; les gens du voisinage ne pouvaient pas dormir, disait on. Ceux qui, à ce temps là, se plaignaient ainsi auraient bien fait d'aller passer quelques jours à Malines. Car c'est une véritable somptuosité de tons que lance la tour sans flèche de la cathédrale; tous les quarts d'heure, quelque chose qui tient à la fois de la marche et du menuet passe sur la ville, quelque chose de mesuré, de gracieux, qui joue comme un vol de papillon, qui est fier et certain de la victoire comme une armée entrant dans une ville conquise. Quand on croit que l'air est achevé, il repart; on dirait une revue ou une procession; les troupes se suivent, chacune drapeau au vent, tambours battants, comme si cela ne devait jamais cesser. La danse, légère et sûre, recommence toujours, sans un seul faux pas, sur les chemins de l'air... Ah, oui, le carillon de Malines !
Nous étions arrivés à Malines un jour particulièrement heureux, car le lendemain, il devait y avoir un concours de carillonneurs. Ils étaient venus de toutes les Flandres, du Brabant, du Limbourg pour se disputer un prix ide dix mille francs. Dès, sept heures du matin jusqu'à la fin de l'après midi, ce fut un bourdonnement et un carillonnement ininterrompu... On eût pu croire que les habitants de Malines allaient trouver que c'était trop de délices, car, entre les carillons qui résonnaient de quart d'heure en quart d'heure, les carillonneurs montaient dans la tour pour s'exercer en vue du lendemain. Mais non... Le surlendemain je lus dans les journaux que la place de la cathédrale avait été remplie d'une foule attentive, tandis que les sonneurs concouraient et que quelques morceaux avaient été bissés. Oh! Oui, le carillon de Malines !
(Johannes Joergensen, "Paysages d'Occident", traduction de Jacques de Coussanges, Bloud, Paris, in:
Arthur de Rudder, "Visions de Belgique", Rossel & Cie édit., Bruxelles, 1925, pp. 278-280.)

Anvers – vers 1900
La Flandre est un pays de cloches, toute la Belgique l'est aussi. […] Et ce n'est pas seulement sur les vieilles villes [Gand et Malines], en dehors du grand mouvement, que la mélodie chantante des cloches passe ainsi légèrement. Non, allez à Anvers, suivez les rues modernes et bruyantes où la vie déferle comme sur le boulevard Anspach à Bruxelles, allez sur la Place Verte et autour de la cathédrale jusqu'à la Grand'Place. Asseyez vous par un soir d'été, sur cette place tranquille devant un des modestes cabarets qui portent des noms si drôles In den Beer, In 't Klaverblad, De Ware Vrienden. Si on en croit les enseignes, on peut avoir là non seulement Bieren en sterke dranken, mais aussi un beafsteak. Même sans bifsteak et boisson forte, avec un verre de bière blonde de Belgique devant soi, il est agréable de s'asseoir sur la Grand'Place. Plus loin, de l'autre côté de la place, il y a une rangée de vieilles maisons, avec des dorures sur les murs, et fenêtres contre fenêtres. Les façades ne sont que fenêtres et pignons. Devant la façade Renaissance de l'Hôtel de ville, éclairée doucement, se dresse la puissante masse de bronze de la fontaine sous les rayons incertains des réverbères. Les estaminets, et les petites boutiques projettent de la lumière; il y a çà et là des tables et des chaises sur les trottoirs; on entend le bruit des boules de billard et celui des voix sortant des cafés; les enfants s'amusent sur la place, des jeunes filles en tablier blanc se promènent deux par deux en flânant. Un orgue de barbarie aux sons rapides joue, devant les cabarets; passant de l'un à l'autre, une femme quête dans un tambourin pour le musicien. Voici un fiacre qui s'avance sur la place, ce sont des touristes qui, en dépit de l'obscurité, veulent voir l'Hôtel de ville et les cinq vieilles façades. La voiture s'arrête un moment, le cocher se penche vers les voyageurs, leur parle, désigne quelque chose de son fouet; puis ils repartent de nouveau. L'orgue de barbarie continue à jouer; deux petites filles se saisissent par la taille et, se mettent à danser sur le pavé inégal. Une bonne d'enfant, ou bien une jeune mère avec un enfant dans ses bras, est prise aussi de la fièvre de la danse, se met à tourner en rond sur la place, soulève l'enfant et le balance de sorte qu'il crie de plaisir. A présent, voilà deux matelots; ils jettent un regard sur les estaminets et mettent la main dans leur poche. J'écoute pour savoir si ce ne sont pas des Danois... Non, ils, parlent une, langue incompréhensible, russe?... finnoise?
Je bois ce que j'ai dans mon verre, paie et quitte ma table. Mais je reste encore sur la place; je vais et viens comme si j'attendais quelqu'un. Je n'attends pourtant personne, à moins que ce ne soit ma muse, ma jeunesse, moi même, ce qui est la même chose. On est là si bien disposé, à la fois soulevé au dessus de la vie quotidienne ! Le bruit continuel des pas et des voix s'éloigne et meurt de plus en plus, les enfants rentrent chez eux en courant, les estaminets éteignent l'un après l'autre leur lumière, l'orgue de barbarie s'en est allé et joue dans les rues de plus en plus loin. Et tout d'un coup revient le carillon de la tour de la cathédrale qui s'élance, grise contre le ciel sombre, au dessus de la place, faiblement éclairée par les réverbères de la Place Verte. Le carillon reste et jette tous les quarts d'heure sa mélodie, mince, frêle, fière, un menuet de notes d'argent, un frémissement dansant de lames qui se froissent...
(Johannes Joergensen, "Paysages d'Occident", traduction du danois de Jacques de Coussanges, Bloud, Paris, in: Arthur de Rudder, "Visions de Belgique", Rossel & Cie édit., Bruxelles, 1925, pp. 280-281.)

Paris - 1900
Je regrette la cour des messageries de la rue Montmartre! Il y avait du bruit, de l'animation, du pittoresque. Le piaffement des chevaux sur les tintement de leurs grelots, les embrassades des grands parents, baisers furtifs des petits amoureux, les recommandations naïves, l'appel du conducteur, tout cela avait une couleur, une poésie, un charme que l'on chercherait en vain dans cette vaste et froide salle des Pas Perdus [de la gare Saint-Lazare], où les voyageurs ressemblent à des ombres.
(Alfred Delvau, cité dans: Jean M. Goulemot, Paul Lidsky et Didier Masseau, "Le voyage en France – anthologie des voyageurs européens aux XIXè et XXè siècles", Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1995, p. 603.)

Venise - 1901
Je ne puis non plus penser sans émotion à l'une de ces nuits de lune vénitiennes que chantent de nombreuses chansons. Par une belle soirée de mai, j'avais flâné pendant des heures sur la piazzetta ;
[…] Je sautai dans la première gondole venue et dis au gondolier de me mener lentement dans le Canale grande. Au delà de la Salute, dans la lagune entre les Zattere et la Giudecca, il y avait une barque avec des musiciens, dont la musique fortement assourdie était à peine audible. Ces airs de guitare et de violon et la molle lumière de la lune semblaient plus vivantes et réelles que les façades des grands palais du canal, silencieuses, blêmes et éclairées par l'astre dans la nuit chaude, et dont les fermes contours se fondaient dans le ciel bleu foncé. Sur le pignon d'un des palais, trois fenêtres étaient éclairées, et l'on entendait chanter une belle voix féminine. Je demandai au gondolier d'arrêter son bateau et m'abandonnai un long moment au plaisir de ce chant, qui semblait s'unir intimement à la nuit et à la lumière de la lune, et appartenir en propre à cette heure douce et belle. Puis je retournai à la piazzetta et demandai que l'on me conduisit à San Giovanni e Paolo. La gondole glissa sur les eaux paisibles et endormies et passa sous le Pont des Soupirs. Les appels des gondoliers, par lesquels, aux tournants des canaux, ils invitent les autres gondoles, qui viennent à leur rencontre, à les éviter, appels à moitié chantés et que l'étranger comprend difficilement, se perdaient dans le silence nocturne et absolu des ruelles et des canaux.
(Hermann Hesse, "Voyages en Italie", Josée Corti, Paris, 1992, pp. 47-49. [trad. François Mathieu].)

Florence – 2 avril 1901
Je suis rentré chez moi [piazza Signoria, invité chez le professeur Thurheer] où, derrière la fenêtre, je me suis amusé à regarder la place avec son animation et ses bruits: crieurs de journaux, marchands de fleurs, cigarrario, étrangers, militaires, garnements qui traînent pieds nus et qui sautent par-dessus les vastes corbeilles à pain des marchands. Sous les galeries, il faut beaucoup d'humour et de bonne volonté pour ne pas se fâcher contre le public; on entend des mots qui vous font dresser les cheveux sur la tête.
(Hermann Hesse, "Voyages en Italie", Josée Corti, Paris, 1992, pp. 66-67. [trad. Fr. Mathieu].

Florence – 6 avril 1901, veille de Pâques
[installé au haut du Campanile, il observe la foule dans les rues en contrebas] A onze heures, une longue procession de prêtres quitte le Dôme, lui aussi plein à craquer, et se rend en face dans le Baptistère, le bas clergé en noir et blanc, le haut clergé en riches habits sacerdotaux violets, rouges et multicolores; l'archevêque est présent. Maintenant la place grouille de monde, avec partout, au milieu des gens, des marchands de fleurs et de pain. Leurs cris montent jusqu'à moi. Les haies de spectateurs doublent leur volume, la foule se presse sur les trottoirs; nombre de personnes grimpent sur la façade; les fenêtres, les toits sont plein de monde. A 11 heures ½, la procession quitte le Baptistère et rentre dans le Dôme. A midi moins ¼, la place du Dôme est noire de monde, et pourtant de nouvelles personnes continuent à affluer. Tout Florence est dehors, il doit y avoir des dizaines de milliers de gens. Il en arrive encore de toutes les rues qui donnent sur le Dôme. De là-haut, on voit très bien comment toute la curiosité d'une grande ville prend corps dans une masse noire qui, venue des plus lointains faubourgs, s'avancent en direction d'un lieu de plus en plus étroit. Nombre de ces gens sont obligés de s'arrêter dans ces rues. A midi précise, en même temps que retentit le coup de canon, toutes les cloches se mettent à sonner; le peuple pousse des cris d'allégresse; un vacarme emplit l'atmosphère. Le bruit devait être le même lors des grandes fêtes de l'ancienne Florence.
(Hermann Hesse, "Voyages en Italie", Josée Corti, Paris, 1992, p. 75. [trad. Fr. Mathieu].)

Naples, 22 février 1902
Nous prenons une voiture et nous parcourons les innombrables petites rues de la ville, si animées, si bruyantes, si grouillantes, où la vie populaire s'étale sur les trottoirs, au grand jour de la voie publique, sans vergogne et sans retenue. C'est au quartier populeux qui s'étend entre la mer et le nouveau corso Humberto. Aux alentours de la place del Mercato c'est dans le réseau serré des rues groupées au pied du château Saint-Elme, que s'épanouit cette curieuse vie intense. Les loques bariolées sèchent sur des cordes traversant la rue; s'étalent à toutes les fenêtres, garnies de balcons, où les femmes et les enfants s'entassent et d'où ils descendent des corbeilles par des cordes et les remontent chargées de victuailles. Les marchands de pastèques, d'oranges, de fritures, de frutti di mare, de macaroni, d'eau fraîche au citron, offrent leur marchandise avec force cris et gestes exubérants. C'est très particulier et d'une chaude couleur locale. […]
La rue de Tolède, qui coupe la ville du nord au sud et où règne jour et nuit une animation extraordinaire de piétons affairés, de voitures aux petits chevaux galopant, harnachés d’argent et de sonnailles, et conduits par des cochers débraillés, claquant leurs fouets sans relâche, mais, par miracle, n’accrochant jamais.
(Edmond Radet, "Visions brèves - Notes d’art et de voyage en Italie", Plon-Nourrit, Paris, 1904, pp. 95-96)

Londres, juillet 1903
Piccadilly, tout à fait réveillé à cette heure, comme après avoir passé la journée à dormir. Avec la chaleur, les trottoirs de bois martelés par la foule prennent une consistance dure et luisante, et reflètent les réverbères de la nuit presque comme s'ils étaient mouillés.
(Virginia Woolf, in: "Voyager avec Virginia Woolf, promenades européennes", La Quinzaine Littéraire . Louis Vuitton, 1994, p. 35)

Bruges - 1904
Il est difficile de parcourir le soir les rues étroites et sombres de cette ville rêveuse sans se perdre dans une légère mélancolie, dans cette douce tristesse engendrée par les derniers jours d'automne qui n'offrent plus les fêtes bruyantes de la saison des fruits mais seulement la vision paisible d'un dépérissement accepté et de forces sur le déclin. Porté par la vague ininterrompue des pieux carillons vespéraux, on s'enfonce peu à peu dans cette mer sans fin de souvenirs énigmatiques qui émergent à chaque porte et à chaque muraille rongée par le temps. On se promène ainsi, nonchalant, pensif, jusqu'à ce que l'on ressente soudain toute la majesté d'un spectacle où l'action et la vie semblent provenir du bruit soigneusement assourdi de ses propres pas, tandis que les grandes formes puissantes et muettes figurent des coulisses sombres. Il n'est sans doute aucune autre ville que Bruges pour symboliser avec une telle force la tragédie de la mort et, plus effrayant encore : de l'agonie. […]
Mais, chose singulière, ici le silence n'est pas seulement, lié au soir qui le tisse de tous ses rêves et de ses souvenirs nostalgiques. Il semble que soit constamment étendu par dessus les vieux toits à pignon un voile gris dans lequel se prend tout ce qui est son ou matière sourdine qui transforme les bruits en murmure, les transports de joie en sourires et les cris en soupirs. Bien sûr, toute animation n'a pas disparu des rues en plein midi. Des carrioles et des voitures cahotent sur les pavés, des gens s'activent pour gagner leur pain quotidien, les nombreux cafés, restaurants, estaminets témoignent même du souci apporté au bien être sur cette terre, et pourtant ni la ville ni ses habitants ne sont souriants. Nulle part cette gaieté villageoise caractéristique des cités flamandes, les bandes d'enfants qui chantent et dansent en faisant claquer leurs sabots derrière le joueur d'orgue de Barbarie, nulle, part de vêtements tapageurs aux teintes flamboyantes. Et toujours ces sons étouffés. Lorsqu'on a monté l'escalier en colimaçon frais et sombre du beffroi, planté, massif et raide, sur la place des Halles, telle gigantesque Roland, et que, légèrement oppressé par l'obscurité lourde, on découvre avec un mélange de peur et de joie la lumière répandue en couleurs éclatantes, force est de constater que, en bas, dans tout ce périmètre clair, règne de l'activité, la voix humaine est absente. De la ville étendue à vos pieds et de son cadre charmant ne s'élève qu'un faible bruissement indistinct, magique comme le son des cloches de Vineta [ville de l'île de Wollin engloutie par la mer, selon la légende] au-dessus de la mer le dimanche.
[…] Ces canaux ne parlent pas, ne bruissent pas; ils ne sont qu'écoute. Ils portent fidèlement l'image des maisons qui appuient contre eux leurs murs effrités, tissés de lierre ; ils reflètent l'éclat triste des ponts voûtés et des hautes tours et ne connaissent même pas le timide clapotis de vagues frémissantes. Pas un son. Ils sont l'obscurité éternelle, mais le ciel s'est pris dans leur miroir noir, ils apportent à cette ville de l'effroi et du silence quelque chose qui n'est pas de ce monde, la transcendance, la clarté des étoiles.
Et au milieu des nuages qui se réverbèrent dans leur course passent parfois des files silencieuses de cygnes blancs, merveilleux et graves animaux dont le silence et la mort abritent également un mystère.
(Stefan Zweig, "Brügge", Neue Frei Presse, Vienne, 24 août 1904, in: Stefan Zweig, "Pays, villes paysages – écrits de voyages", Belfond, Livre de Poche, 14458, 1996, pp. 33,34 & 37.)

Saint-Maur, près de Paris, vers 1905
Un nouvel affluent se jette à gauche dans notre rue Gustave, c'est la rue Emile devenue depuis lors rue Alfred-de-Musset. Elle était assez animée avec la blanchisserie Breuzin. […] On entendait quatre fois par jour un long coup de sifflet qui marquait la rentrée ou la sortie des ouvrières que j'entendais chanter de mon jardin pendant leur travail.
(Edouard Bled, "J'avais un an en 1900", Fayard, Paris, 1987, coll. Le livre de poche n° 6511, p. 123.)

Bucarest , 1905
Dans les rue de Bucarest il y a un continuel va-et-vient de voitures: des fiacres innombrables, mais tous découverts, la capote relevée contre le froid, la pluie ou le soleil. [...] La plupart des rues sont si étroites qu'il faut un véritable art pour conduire, surtout à une vitesse infernale: aussi le bruit des voitures est-il plus grand ici que dans toutes les autres villes de l'Europe. J'ai eu quelque fois la curiosité de les compter, par tous les temps, dans l'espace d'un quart d'heure, cent vingt à cent cinquante voitures en moyenne passent devant les fenêtres du palais. Entre deux heures et quatre heures du matin seulement, il y a une tranquillité relative. En plus du bruit des voitures, les marchands ambulants et les porteurs font retentir les rues de leurs longs cris mélancoliques.
(Carmen Sylva s. m. La Reine Elisabeth de Roumanie, "Bucarest", in: "Les capitales du monde", Hachette et Cie, Paris, 1905, pp. 324-325).

Bruxelles – 27 septembre 1906
[Le premier cinéma à part entière, – une salle diffusant uniquement des images lumineuses animées – s’est ouvert au 110 boulevard du Nord (aujourd’hui boulevard Adolphe Max) en 1905 sous le nom de Théâtre du Cinématographe. L'apparition de ce premier cinéma ne plaît pas à tout le monde. Une voisine écrit au commissaire de police]:
" […] nous avons la certitude d'habiter un champ de foire! […] Que d’ennuis ne cause-t-il pas à tous ses voisins !
D’abord, un "pitre" crie le boniment à la porte dès 2 heures de relevée jusqu’à minuit : "Prenez vos places, vos billets ; dans quelques instants, la séance commence ! etc, etc." Et cette éternelle complainte se répète, non seulement de 2 à 24 heures, de temps en temps, mais chaque jour, du 1er janvier au 31 Xbre !
Ensuite, depuis vendredi dernier, un autre exaspérant système de réclame a été inauguré pour l’après-midi ; entre chaque séance, une sonnerie électrique, placée près de la porte de la rue, sonne éperdument pendant cinq minutes sans interruption ; elle fait un vacarme qui s’entend dans la cour aussi bien qu’à la rue ! Et pendant le spectacle, jusqu’à minuit, ce sont – accompagnant le piano, - roulements assourdis de tambour, coup de feu, - vrais ou imités, - fonctionnement de trompettes d’automobiles, sonneries de cloches, que sais-je encore ! C’est à sortir de vos gonds !! Ne pourriez vous pas, Monsieur le Commissaire, user de votre autorité et faire cesser cet affolant état de choses ? Les loyers que nous payons sont assez conséquents pour que nous puissions prétendre à un peu de tranquillité. Je ne parle pas des attroupements qui, le dimanche surtout, se tiennent sur le trottoir, et nous empêchent d’entrer chez nous ! Espérant de votre obligeante intervention un terme à nos maux, …"
(Veuve van Aken, carton hygiène n°6, commodo-incommodo, 4è Don de Police, ind. N° 20700, Archives de la Ville de Bruxelles.)

Londres – 1906
J'avais hâte de vous causer après la diversité tumultueuse de mes impressions. […] Il m'est difficile de vous raconter, encore plus de vous exprimer. Je déteste l'esprit anglais, triste, hypocrite et gouailleur. Tout est mort ici. Dans un restaurant plein de monde, on n'entend rien. J'ai vu un port avec des bateaux qui arrivaient, une bande d'ouvriers qui finissaient leur travail, et je croyais rêver: dans tout cela, pas un bruit.
(lettre d'André Derain à Matisse, jeudi 8 mars 1906, in: Rémi Labrusse et Jacqueline Munck, "Matisse-Derain – la vérité du fauvisme", Hazan, Paris, 2005, p. 234.)

Berlin – 1906
Ce que l'on ne rencontre pas à Berlin (heureusement pour le calme et la tenue de ses rues), ce sont ces camelots hurleurs qui encombrent, qui troublent et énervent nos boulevards, qui blessent les oreilles, choquent de leur vulgarité et de leur débraillé l'élégante harmonie de la capitale.
Je sais bien qu'on s'y fait à la longue, comme on se fait à tout, mais on s'en déshabituerait je pense, avec la même facilité. Tous ceux qui ont voyagé en Allemagne en témoigneront. La saleté aussi des chaussées et des trottoirs parisiens, la quantité papiers qu'on y laisse traîner toute la journée, détritus et de crottin de cheval, apparaît ici anomalie inexplicable. Il faut venir dans ce pays pour avoir honte de la voirie parisienne.
En revanche, il manque à la rue allemande, comme à la rue anglaise, nos terrasses de cafés, si gaies si agréables, qui créent des repos de sociabilité -parmi la cohue en marche, et qui sont une création de notre flânerie aimable et souriante.
(Jules Huret, "En Allemagne – Rhin et Westphalie", Eugène Fasquelle, Paris, 1919, pp. 19-20.)

Lyon – 1907
Fusant, limpide et glacé, des hauteurs du ciel infini où frissonnent les étoiles au preste scintil, le 'calme clair de lune, triste et beau' blanchit d'une lumière de rêve l'immense panorama fluvial.
Et c'est, en un recul désespéré, Fourvières et ses deux tours contre l'azur lucide…. Et c'est jalonné de globes électriques, qui dardent à travers l'air glacé des feux bleus intenses, la haute silhouette du pont de la Guillotière, sa courbe noire, ses piles en éperons, ses arches béantes – portiques monstrueux sur des perspectives imprécises et la fuite des grandes eaux coulant à pleins bords (…).
Ce silence est tel que l'on aperçoit le sourd murmurement des flots vers les étoiles. A peine si, de loin en loin, les sonneries de clochers invisibles ou quelques sifflets de chemin de fer estompés par la distance viennent couvrir ce bruit mélancolique. Puis on entend de nouveau le grand glissement triste. Et cette rumeur tout à la fois ténue et puissante, ce clair de lune glacial, ces blanches rives désertes, évoquent à l'âme je ne sais quelle contrée de songe, quel par-delà étrange, quelles limbes d'outre-tombe.
(Esquirol, "Petits et gros bourgeois", Stock, Paris, 1907, cité dans: Bernard Poche, "Lyon tel qu'il s'écrit – Romanciers et essayistes lyonnais 1860-1940", Presses Universitaires de Lyon, Lyon, 1990, p. 53.)

Kiel – 1908
Kiel donne, à première vue, l'impression d'une ville médiocre et sans originalité. Elle ne semble point avoir, comme tant de villes allemandes, ce souci de bonne tenue et de décence coquette qui séduit d'ordinaire l'étranger. A l'arrivée, point de grands hôtels, de places aux parterres fleuris ou d'avenues verdoyantes, mais, tout près de la gare, à l'une des extrémités de la rade, et faisant face à la mer, quatre halls colossaux, ouvrant sur l'eau, se dressent : ce sont les chantiers navals de la Germania appartenant à la Société Krupp. Un vacarme assourdissant de ferraille battue en arrive, des milliers de coups de marteau sur le fer résonnent sous les verrières qui multiplient leur tintamarre. Accueil souverainement désagréable. Et c'est Krupp, toujours Krupp !
(Jules Huret, “En Allemange, de Hambourg aux marches de Pologne”, Eugène Fasquelle, Paris, 1916, pp. 1-2.)

Venise – 1908
Le matin, j’étais réveillé par la voix enrouée du vaporetto.
(Paul Morand, "Venises", Gallimard et Librairie Jules Tallandier - Cercle du Nouveau Livre, Paris, 1971, p. 47.)

Gênes – 14 mai 1908
Hier soir, j’ai fait une promenade d’une heure dans Gênes, de mon hôtel à la piazza Deferrari et retour en passant par des rues détournées. Quelle puanteur dans les rues ! ce fut la première remarque que je fis. Les trottoirs, même dans les rues principales, font totalement défaut; on est constamment obligé de se garer des tramways électriques à trolley qui rasent les murs.
(Gabriel Lécolle, "l’Italie et la Sicile : récits de voyage", Minon-Bourdanchon, Guise, 1908, p. 43)

Naples – 24 mai 1908 (hôtel de Londres, près de la place San Ferdinando)
C’est aujourd’hui dimanche; je suis debout de bonne heure, curieux de prendre le plus tôt possible contact avec Naples… Je suis tout d’abord étonné d’entendre de ma chambre ces cris, véritables croassements, que poussent les cochers pour exciter leurs chevaux à la course. Des « ach…ach…ach…couach…couach… » arrivent sans cesse à mes oreilles et, regardant par mon balcon, je vois que c’est une habitude contractée par tous les conducteurs de voitures de Naples; leurs cris peu harmonieux correspondent à nos « hue cocotte », à nos « dia…hue » de nos collignons français. (p. 79)

25 mai 1908
Depuis la Chartreuse de S. Martino : je contemple, d’un belvédère, le superbe panorama de Naples, l’un des plus beaux spectacles qu’il soit possible à l’œil humain d’admirer. Tout à fait au-dessous de moi, la ville s’étend jusqu’à la mer et allonge ses bras autour du golfe. Un bourdonnement immense s’en échappe, comme d’une ruche. Le golfe, au contraire, a un calme majestueux. (p. 83)

26 mai 1908
Oh ! le gentil tableau à mon réveil ! Des troupeaux de chèvres avec leurs sonnettes traversent la place ainsi que les ânes porteurs de l’approvisionnement de la ville.
(Gabriel Lécolle, "l’Italie et la Sicile : récits de voyage", Minon-Bourdanchon, Guise, 1908, p. 90)

Venise – 20 juin 1908
Le silence est profond dans cette ville dont les rues sont des canaux, et le bruit des rames est l’unique interruption à ce silence.
(Gabriel Lécolle, "l’Italie et la Sicile : récits de voyage", Minon-Bourdanchon, Guise, 1908, p. 238)

Milan – Gallerie Victor-Emmanuel - 1909
Elle grouille de peuple, à toute heure. Il y règne un luxe épais. La Galerie est pleine de magasins, de boutiques, de cafés. Les pas des promeneurs, le talon de ceux qui se hâtent, la voix de ceux qui demeurent, les appels, le cliquetis des verres et des cuillères dans les tasses, tous ces rayons sonores engendrent une sphère de bruit, où l'on reste assourdi. Un peu partout, des échos retentissent.
(André Suarès, "Voyage du Condottière, I , vers Venise", Granit, Livre de Poche n°3259, Paris, 1984, p. 40-41.)

Todi – vers 1909
Quel silence. Quelle bonne solitude. Pas un étranger à Todi. Le ciel est blanc dans le soleil, et du bleu le plus cru sur les créneaux dans l'ombre. La lumière est un lac d'or brûlant où l'on respire le souffle de l'été. Quel beau silence. Même à Montefalco, même à Gubbio, je n'ai pas bu un si grand silence à si longs traits. Les martinets eux-mêmes ne crient plus, ici, ici, par ici.
(André Suarès, “Le voyage du Condottière, I , vers Venise”, Granit, Poche biblio, n°3259, Paris, 1984, p. 405.)

Lyon - quartier de La Croix-Rousse - 1909 [voir note de 1864]
La Croix Rousse d'antan, si bruyante et si animée, devient silencieuse et morne. Les vieux tisseurs voient, avec mélancolie, les hautes bâtisses construites pour les ateliers peu à peu se transformer en maisons bourgeoises [...]. Des rues entières ignorent le claquement rythmé de la mécanique, alors qu'autrefois il assourdissait les passants. On ne l'entend même plus qu'avec surprise, de loin en loin dans certains quartiers, et on lève la tête avec curiosité vers la fenêtre derrière laquelle le métier s'agite, oiseau rare dont le chant évoque une bien antique tradition.
(Justin Godart, "Travailleurs et métiers lyonnais", Cumin et Masson, Lyon, 1909, cité dans Olivier Balaÿ, "L'espace sonore de la ville au XIXè siècle", A la Croisée, coll. Ambiances, Ambiances, Bernin-France, 2003, p. 59.)

Lyon - colline de Fourvière - vers 1910
Autour [d'eux deux], le silence se faisait profond, comme si les murailles, baignées de prières, s'entouraient de recueillement pour une dernière oraison. Pas une feuille ne remuait dans le jardin. De l'espace béant sous leurs pieds, des bruits arrivaient, des bruits qui tantôt trouaient le vide comme une trombe et tantôt s'étalaient comme une mer de sons. Dans le brouhaha confus, où se mêlaient le roulement des voitures, le fracas des camions, la voix rugissante de la foule, il discernait le sifflement d'un train, la sirène enrouée d'un remorqueur descendant la Saône; des marteaux résonnaient sur de retentissantes chaudronneries; des usines laissaient fumer leur vapeur.
(Jocelyn Barboin, in A. Barton, "La patrie lyonnaise", chap. IV: "Impressions d'écrivains", Lyon, Lemerre, Les étudiants, 1914, cité dans Olivier Balaÿ, "L'espace sonore de la ville au XIXè siècle", A la Croisée, coll. Ambiances, Ambiances, Bernin-France, 2003, p. 56.)

Lyon - quartier de Fourvière - vers 1910
La montée (vers Fourvière) s'accentue; nos deux chevaux tirent à plein collier. (....) On rêve, en passant par là, aux nonnes recueillies qui se rendent à la chapelle en longues files pour l'office du matin, tandis que derrière la sainte troupe, Soeur Tourière, un peu cassée par l'âge, hâte le pas éveillant l'écho sonore des voûtes au bruit de son trousseau de clés. Les filles du Seigneur ont fui les quartiers tumultueux de la ville et sont venues s'établir entre l'Archevêché dont on aperçoit les tourelles, la Basilique Saint Jean et la colline de la Vierge. Ces maisons étagées, qui montent de la Saône, semblent avoir été bâties pour recevoir de plus près les bénédictions que laissent tomber les mains de Notre-Dame de Fourvière. Les bruits de Lyon y arrivent à peine comme un murmure confus. De tous côtés, on entend le tintement des clochettes argentines, au milieu desquelles on croit percevoir la psalmodie traînante des hymnes ou le bruissement des chapelets, et parmi les douces émanations des héliotropes échauffés par le soleil de midi, on sent dans l'air un parfum de myrte et de cinname.
(Jocelyn Barboin, in A. Barton, "La patrie lyonnaise", chap. IV: "Impressions d'écrivains", Lyon, Lemerre, Les étudiants, 1914, cité dans Olivier Balaÿ, "L'espace sonore de la ville au XIXè siècle", A la Croisée, coll. Ambiances, Ambiances, Bernin-France, 2003, p. 57.)

Vienne – vers 1910
Je me remémore les bruits de Vienne, la ville où j'ai passé mon enfance.
J'entends les attelages des voitures à cheval qui cliquettent, les camions qui bringuebalent, j'entends le roulement à peine perceptible des roues à bandages de caoutchouc des fiacres, le martèlement rapide ou lent des sabots des chevaux sur les pavés ronds, le timbre aigu des sonnettes de vélos, le cancane [cri de canard] des trompes à poire des automobiles.

Voici le musicien qui actionne son orgue de Barbarie, le Croate qui tape avec ses cuillers de bois ; le Bosniaque qui fait tintinnabuler ses colliers et ses bracelets; le marchand de ratières qui s'annonce dans le fracas de ses casseroles entrechoquées et dans les claquements de ses tapettes à souris; l'aiguiseur de ciseaux dont la meule émet un sifflement; le porteur d'eau juif dont on entend gargouiller l'énorme sac pansu; le mercier qui fait bruire dans sa boîte des rubans moirés; le marchand de marrons hélant la clientèle; le charcutier dont le couteau bien affûté débite d'ultrafines tranches de salami; le Turc tirant sa charrette, qui vend des glaces, du nougat, des noix, des dattes et des figues.

Tous marchent d'un pas chaloupé et scandent leurs boniments sur deux ou trois notes : ″aaaachetez, bonnes gens″, chantent-ils, ″aaaachetez ... louches, cuillers ... salamis pour votre dîner … rétamage de casseroles, aiguisage de ciseaux ... ratières ... lignes de la main″. S'accompagnant d'un sifflet, d'une flûte ou d'un chalumeau, chacun répétera ce rituel jusqu'à la fin de ses jours.

Ils portent des vêtements bigarrés, évocateurs de pays exotiques, ils émettent d'étranges roucoulements, ils inspirent la rêverie, la crainte, l'affection.
Ils ont des vêtements de toutes les couleurs qui apportent une touche d'exotisme, ils émettent...
Ils viennent de loin, de diverses provinces de l'Empire, et nous sommes les sujets du même souverain. Ils ont beaucoup de noms, dont j'ai appris très tôt à réciter la litanie : Hongrois et Polonais, Bohémiens et Moraves, Roumains, Ladins, Italiens, Arméniens, Séfarades, Galiciens, Bosniaques, Slovaques, Slovènes, Ruthènes...
Ils parlent dans beaucoup de langues et l'Empereur, dit-on, pourrait s'adresser à chacun dans sa langue.
(Alice Herdan-Zuckmayer, "La petite boîte (à trésor), (le secret d'une enfance)", Edition de poche Fischer, Frankfort, 1973, p. 9. [trad. Robert Trévisiol])

Clermont-Ferrand, vers 1912
Je devais avoir cinq ans. Nous habitions à l’étage supérieur d’une maison dont l’arrière n’était séparé que par une étroite ruelle de l’asile d’aliénés départemental. Un mur de bonne hauteur protégeait des regards et délimitait une terrasse ainsi transformée en cour où je jouais volontiers lorsqu'elle n’était pas occupée par le séchage de la lessive. J'étais là en sécurité et j'avais fait de cet enclos mon domaine. Pourtant j'y étais aussi mal à l'aise car ce mur semblait receler des mystères. Au delà s'étendait un monde inconnu interdit aux regards et d'où montait une rumeur faite de paroles inaudibles, de cris étouffés, de chants vite interrompus et d'où émergeait parfois une ritournelle cent fois répétée, le tout entrecoupé d'appels et de coups de sifflets stridents. Par les jours d'orage, la rumeur s'enflait et l'on y distinguait mieux les cris, plaintes et gémissements. Aux questions que je posais, mes parents répondaient par des propos évasifs: "D'où vient ce bruit ? Ce sont des malades... des malades de l'esprit. " […]
(Paul Sivadon, "Psychiatrie et Socialités – récits autobiographique & réflexions théoriques d’un psychiatre français", Editions Erès, Toulouse, 1993, pp. 16-17)

Naples – 1912
Physionomie des rues. - Les rues de Naples ont un aspect plus original que celles d’aucune autre ville de l’Europe; la vie populaire s’y étale en pleine liberté. Du matin au soir jusque bien avant dans la nuit, on est assommé par le bruit des voitures, le claquement des fouets, les cris des marchands de toute sorte qui circulent sans interruption en offrant des données des denrées alimentaires et mille autres produits. […] C’est dans via Roma que règne la plus grande animation, surtout vers le soir aux lumières. Cette heure est envahie à certaines heures par les marchands de journaux, nommés à Naples giornalisti. […]
Les ruelles entre le Corso Umberto I et le port, jusqu’à la piazza del Mercanto sont des endroits où la vie populaire présente des scènes originales, notamment dans la matinée. Les cuisines en plein air et les marchands de dessertes de restaurants, et de bouts de cigares assortis y attirent sans cesse une nombreuse clientèle. La vie de famille s’y montre en public sans la moindre gêne. Les femmes vaquent à leurs travaux dans la rue, y font leur toilette et nettoient la tête de leurs enfants, tandis que les petits garçons s’y ébattent tout nus ou à moitié vêtus. […]
Dans les semaines qui précèdent Noël, il y a en outre des centaines de zampognari, qui jouent de la cornemuse et de la flûte, devant les images de la Madone; ils repartent le jour de Noël. […]
Les troupeaux de chèvres, qu’on mène traire à domicile, sont encore une des particularités de Naples; ces animaux grimpent jusqu’aux étages supérieurs des maisons. Les rues sont en même temps parcourues par des vaches, qu’on trait aux portes des maisons. Mais ces bêtes ne contribuent pas à rendre les rues plus propres. Depuis peu, elles ne doivent plus passer que dans les rues traversières.
Les chants populaires de Naples sont renommés. Des chanteurs ambulants, aux voix enrouées, les font entendre un peu partout. On entend aussi souvent les jolies compositions de Salv. Di Giacomo et de Ferd. Russo.
(Karl Bædeker, "Italie méridionale, Sicile, Sadaigne, Malte, Tunis, Corfu – Manuel du voyageur", Karl Bædeker éd., Leipzig – librairie Ollendorff, Paris, 15è éd., 1912, pp. 34-35)

Liège – Pâques vers 1913
Cette année, Pâques ressemble plus que jamais aux Pâques dont j'ai gardé le souvenir. IL y a des fleurs partout, dans les jardins, dans les prés, à la campagne, le long des chemins. Les rues sont presque vides.
Lorsque j'étais enfant, on n'y entendait aucun bruit, sinon, de loin en loin, les sabots des chevaux de fiacre, car je crois bien qu'il n'existait pas plus de dix automobiles dans toute la ville de Liège.
Les cloches sonnaient dès six heures du matin, à toute volée, comme si elles se répondaient de paroisse en paroisse, de clocher à clocher. Or, les clochers n'étaient pas distants l'un de l'autre d'un kilomètre, de sorte que que c'était, pendant toute la matinée, un concert continu qui avait commencé gaiement dès le samedi après-midi, lorsque les cloches revenaient de Rome.
(Georges Simenon, "Mes dictées : Tant que je suis vivant", 18 avril 1976, Presses de la Cité, Paris, 1978; coll. Omnibus, Tout Simenon vol. 26, Paris, 1993, p. 1215.)

Paris , avril 1915
Boulevard Rochechouart. On pouvait entendre le canon quand le vent venait du nord.
(Jean Renoir, "Pierre-Auguste Renoir, mon père", Gallimard, coll. Folio n°1292, 1981, Paris, p. 9.)

Brest - vers 1920
[les vigiles de nuit] existaient aussi à Brest, dans mon enfance. Je crois encore entendre celui qui, rue Amiral-Linois, passait le long des maisons, s'assurant que les portes étaient bien fermées et prononçait d'une voix forte, avec une légère pause ente les mots: "Il est - Minuit - Sonné!".
(Michel Mohrt, "Les dimanches de Venise", Gallimard, Paris, 1996, pp. 90-91)

Liège – vers 1920
Je me souviens d'une époque, plus proche de mon enfance que de mon vieil âge, où un vieil homme, aveugle la plupart du temps, installait au coin d'une rue un harmonium miniature. Il était accompagné d'une chanteuse, au pis-aller d'un chanteur, et, jusqu'à ce que le police vienne les déloger, nous avions droit aux refrains à la mode. On en vendait d'ailleurs ce que l'on appelait le petit format, c'est-à-dire une feuille où était imprimée la musique du refrain, et au dos, les paroles des couplets.
(Georges Simenon, "Mes dictées : au-delà de ma porte-fenêtre", 20 février 1977, Presses de la Cité, Paris, 1978; coll. Omnibus, Tout Simenon vol. 26, Paris, 1993, p. 1516.)

Londres – les années 20
Presque toujours à Londres, par-dessus le vacarme innombrable de la ville ou le bruit qui se glisse à travers murs et fenêtres, perce la banale mélancolie de la musique des rues ; une musique qui sonne comme la vraie voix du cœur humain, chantant les joies perdues, les regrets et les vies sans amour des gens qui noircissent les trottoirs ou que cahotent les omnibus.
"Parle-moi doucement", implore l’orgue de Barbarie ; "Je suis seul ici-bas !" lance-t-il dans la foule : "Tu as brisé tes serments", pleure-t-il dans les cours sordides, et "Frêle est ta renommée". Et par les chauds après-midi d’été, , l’Appel au Courage devant le Souvenir, ou la Paix de l’Oubli, montent avec une odeur de peinture et d’asphalte – faible et triste -, à travers les fenêtres ouvertes des bureaux.
(Logan Pearsall Smith, "Trivia", Grasset, Paris, 1921, cité dans "Le goût de Londres", Mercure de France, Paris, 2004, p. 84.) [trad. Philippe Neel]

Dépôt de Perrigny près de Dijon, vers 1925
Les bruits, toujours les mêmes qui saturaient le quartier: halètement des machines, appels des aboyeurs de gare, coups de sifflet de manœuvre, sourdes détonations qui venaient des tamponnements du triage, au-delà du canal, appels des plantons qui criaient la commande depuis la rue: "Dubois! Tu feras le 6002, à trois heures quarante ! Vérillotte ! Tu feras le 4807, à quatre heures vingt-deux!" Au loin, on entendait le grondement métallique et un bruit sec du marteau sur l'enclume, tacatac, tacatac, tacatac… C'était un train qui prenait de la vitesse sur le raccordement de l'Est…
(Henri Vincenot, "la vie quotidienne dans les chemins de fer au XIXè siècle", Hachette, Paris, 1975, p. 10)

Berlin 1920-30 et 1975
Dans les romans et les poèmes des années 20-30, les tramways, les autobus mais aussi les bruits de la ville – grincements de voiture, sifflements des trains, grondements du métro et chuintements des rails – occupent une place aussi importante que les sentiments des personnages et leurs actions. Peut-on imaginer la place Alexander de Döblin sans le grincement du tramway, les poèmes de Heym et Becher, sans le bruit des usines de Berlin? Ce rythme mécanique donne sa vie, son souffle et son sang à la prosodie, au style, et je ne peux relire les premiers poèmes d'Ivan Goll ou de Becher sans songer à ces bruits. Les gares, les stations de métro, les arrêts d'autobus et les salles d'attente sont des lieux privilégiés où divague l'imagination des poètes des années 20. Marlene Dietrich, dans ses premières chansons, a admirablement exprimé ce sentiment de solitude de la grande ville, avec ses bruits et sa tristesse. […] A une huere avancée, des gens attendent l'autobus de nuit. Un océan de bruits et de lumières, de halos éclatants et d'ombres secrètes, de rêves et de cauchemards – telle apparaît la ville. Même l'infirme avec sa voiture, où sont attelés deux chiens, semblent se hâter vers l'arrière-cour où il vit. L'employé qui annonce au micro le nom des stations de métro, suivi de l'éternel "Einsteigen bitte!", les autobus qui déversent les voyageurs au coin des rues ont remplacé les vieux bus à impériale et les tramways dont les sifflements et les grincements faisaient partie de la vie quotidienne de Berlin. Mais on reconnaît toujours le grondement du métro qui s'élance dans la large courbe de Tallesche Tor, avant de pénétrer dans Kreutzberg. Le matin, on entend les sifflements des trains dans la brume.
(Jean-Michel Palmier, "Retour à Berlin", Petite Bibliothèque Payot/Voyageurs, Payots & Rivages, Paris, 1997, pp. 77-78.)

Nice - vers 1930
Après être resté assez longtemps au café, où j'ai lu enfin mon journal du soir, j'ai suivi la rue Honoré-Sauvan et la rue de France jusqu'à la Croix de Marbre; d'où j'ai gagné la Promenade des Anglais pour revenir à mon hôtel en longeant le quai. Nice offrait à la nuit marine l'immense collier des lumières de la rive, comme, en amorçant le geste de le lui accrocher derrière le cou. La mer faisait par intervalles un bruit caressant, une sorte de "che" à peine prolongé, suivi d'un "iiiss" d'une légèreté de perles. Il y avait quelques promeneurs; des couples amoureux accoudés à la balustrade ou assis sur des bancs.
(Jules Romain, "La douceur de la vie", André Sauret, éditeur, Paris, 1939, p. 38.)

Bruxelles - vers 1930
Nos rues étaient jadis, du matin au soir, pleines de rumeurs, de vie, de pittoresque, de truculence. Les marchands ambulants, fort nombreux avant le règne du supermarché et de l'auto, s'égosillaient à qui mieux mieux : " Les bonnes poires Jefkes, cinq centimes la lîv' ", "Noix fraîches, treize à la douzaine", "Verse Hollandse Hâ â â ring ! ", etc. Le chiffonnier s'annonçait en trompetant et en psalmodiant "Hei ghîn vodden en bîn ? ", le rémouleur, juché sur sa petite charrette, interrompait parfois le bruit aigu du couteau sur la meule pour hurler "Scheire slip ! ", tandis que le marchand de pétrole (lampant) fouettait le cheval qui tirait sa voiturette citerne, agitait le battant d'une cloche et braillait "Pitroi, pitrol, vaaif ceens de leeter". […] Quant aux Melkbôren (marchands de lait), ils ne criaient pas, mais se signalaient de loin par les aboiements des deux molosses plus ou moins esquimaux qui tiraient leur charrette emplie de grandes cruches de fer galvanisé.
[…] C'est aussi après six heures que se déchaînaient les crieurs de journaux, car les acheteurs étaient plus nombreux le soir : les employés avaient fini leur journée, les rentiers sortaient (tandis que les ménagères lisaient fort peu). On entendait crier "Le Swar pour demain ! Le bandit de la rue Tilly est arrêté ! Demandez le Swar ! " ou "Lisez le Peup' ! Le governement va tomber ! ", "Nââchon belche, Nââchon belche ! ", etc.
(Jean d'Osta, "Bruxelles bonheur", Rossel, Bruxelles, 1980, pp. 147-148.)

Civitavecchia - 1931
Civitavecchia se régale d'une grandeur qui n'a rien de provincial. A midi ce n'est rien moins que le canon qui tonne et dans certains coins de la ville on a parfaite illusion de se trouver dans un faubourg de Rome.
(Antonio Baldini, "L'Italie d'heureuse rencontre" tome 1, Editions de la Toison d'Or, Bruxelles, 1942, p. 123. [trad. Gilson de Rouvreux])

Londres - 1933
Chaque famille jouit en paix de sa maison forteresse, séparée de la rue par l'hostilité d'un saut de loup et d'une grille de fonte que le visiteur doit frapper du marteau (ce bruit, si anglais, ne s'entend plus aujourd'hui qu'en province).
(Paul Morand, "Londres", Plon, Paris, 1933, p. 45.)

Dordrecht – décembre 1933
Ce furent les clip-clop des sabots sur les pavés – un bruit inexplicable jusqu'à ce que je regarde par la fenêtre – qui me réveillèrent au matin. (Patrick Leigh Fermor, "Les temps des offrandes – A pied jusqu'à Constantinople: de la Corne de Hollande au moyen Danube",
Petite Bibliothèque Payot / Voyageurs, Paris, 2003, p. 45. [trad. Par Guillaume Villeneuve].)

Stuttgart – janvier 1934
Nous étions à la moitié du petit déjeuner quand les cloches du dimanche matin commencèrent à rivaliser d'un clocher à l'autre. On se serait cru dans un sous-marin au milieu de cathédrales englouties. […]
On entendit alors, sur la toile de fond sourde de toutes les cloches, la merveilleuse broderie d'un carillon. C'est l'une des plus célèbres curiosités de Stuttgart. Nous l'écoutâmes jusqu'à ce que ses motifs compliqués s'effacent dans le silence.
(Patrick Leigh Fermor, "Les temps des offrandes – A pied jusqu'à Constantinople: de la Corne de Hollande au moyen Danube", Petite Bibliothèque Payot / Voyageurs, Paris, 2003, p. 106. [trad. Par Guillaume Villeneuve].)

Prague – printemps 1934
Les fenêtres de l'appartement donnaient sur Prague tout entier. Comme j'achevais mes recherches, le soleil pâle s'était couché parmi les nuées argentées et pourpres: on vit s'allumer d'un seul coup toutes les lampes de la ville. A cette heure où la nuit avalait les tours, les pinacles et les dômes couverts de neige, le tintamarre rival des cloches rappelait leur présence.
(Patrick Leigh Fermor, "Les temps des offrandes – A pied jusqu'à Constantinople: de la Corne de Hollande au moyen Danube", Petite Bibliothèque Payot / Voyageurs, Paris, 2003, p. 354. [trad. par Guillaume Villeneuve]. )

Barcelone - 1935
Nous suivons un dédales de rues, d'avenues qui s'allongent, se croisent, s'emplissent du tapage des klaksons d'autos, du roulement des trams, du bruit de ferraille d'énormes autobus à étage, s'éclairent des feux d'élégants magasins, de cafés, de pâtisseries.
(Auguste Vierset, "L'Espagne en autocar", Les Editions de Belgique, Bruxelles, 1935, p. 12.)

Valence - 1935
Le soir, dans les rues très animées, les trottoirs sont encombrés de gens assis, dos à la façade, devant des tables que les consommations n'encombrent guère. [...] Les cris des marchands de journaux, le bruit des pick-ups, le brouhaha des conversations, le roulement des trams enfièvrent les calle du centre.
(Auguste Vierset, "L'Espagne en autocar", Les Editions de Belgique, Bruxelles, 1935, pp. 27-28.)

Syracuse - 1938
La voiture en cahotant nous ramène vers le port. Les promeneurs sous les arbres sont nombreux. Les orchestres jouent. On souhaite en vain un peu de recueillement et même tout le silence pour entendre passer le vent.
(Paul Morand, "Méditerranée, mer des surprises", (1938), in : "Voyages", Laffont, coll. Bouquins, Paris, 2001, p. 763.)

Gènes - 1938
Vers le soir, la vie citadine génoise reflue vers la place Deferrari envahie par les trams et les piétons, sans forme entre ses cafés et ses monuments publics, toute sonore de sifflets, de grincements, de klaxons et d’appels. Le monde élégant s’y retrouve et déguste des glaces.
(Paul Morand, "Méditerranée, mer des surprises", (1938), in : "Voyages", Laffont, coll. Bouquins, Paris, 2001, p. 767.)

Londres 1939
Ce qui nous frappe, en sortant de la gare [de Victoria Station], c'est le grand silence qu'étaye le ronflement continu des moteurs, comparable au bruit monotone d'un torrent. Là-dessus, pas un éclat, pas un cri, pas un de ces hurlements sauvages de klaxon dont les chauffeurs de chez nous [Bruxelles] se croient obligés de nous écorcher les oreilles. Un stage d'éducation dans les rues de Londres s'imposerait à nos braillards. Ces primaires de la route y apprendraient à conduire et à se conduire, et finiraient par réaliser ce que la manie de sonner héroïquement de la trompe à chaque fois qu'on aperçoit une trottinette dénote le manque de sang-froid autant que de mauvais goût. C'est que les chauffeurs londoniens n'ont pas trop de toute leur attention pour se diriger dans les carrefours où des processions de voitures se croisent en une étourdissante gymkana. Nous nous attardions à admirer les nouveaux bus-mastodontes à étage couvert, que leur blindage d'aluminium assimile à d'énigmatiques engins de guerre sortis d'un roman de Wells. Leurs conducteurs sont armés d'une petite trompette nasillarde qui a tout d'un jouet d'enfant et dont ils n'usent qu'avec parcimonie, préférant ralentir ou se détourner - avec quelle flegmatique habilité! - plutôt que de s'annoncer à grand fracas, ainsi que le font si volontiers nos MM. Dubois ou Durand, lorsqu'ils sortent "leur" voiture.
(Maurice Tumerelle, "Vacances Anglaises", Librairie Vanderlinden, Bruxelles, 1939, pp. 42-43.)

Fontenay-le-Comte – Vendée - vers 1940
Qui n'a pas connu la lenteur du temps provincial, le ciel si souvent gris, le regard furtif derrière les rideaux soulevés de la fenêtre, la rue où ne passe âme qui vive, le silence si oppressant que les cloches de l'église sont enfin la preuve que l'on est encore de ce monde; qui n'a pas connu cette civilisation rurale aujourd'hui disparue dans la pétarade des motos et des voitures, dans la tonitruance des transistors et où l'on est plus jamais seul puisque l'écran de télé vous relie au reste du monde; qui n'a pas connu la solitude du pauvre dans un monde où chacun se renferme, se referme, ne sait pas ce qu'est l'ennui.
(Michel Ragon, "L'accent de ma mère", Plon / Terre Humaine, Paris, 1989, pp. 163-164.)

Portugal – 1940
Les moulins portugais sont gais, alertes, mus par quatre focs de toile blanche, triangulaires, qui dressent sur le ciel de grandes croix de Malte. On en voit sur toutes les crêtes, principalement dans l'Estrémadure, et sur l'échine des dunes crayeuses, rarement isolés, le plus souvent en ligne de trois, quatre, cinq et plus, ronds et blancs, couverts d'un toit pointu, sans gouttière, leurs ailes légères tournant très vite, avec un frémissement joyeux. Aux étais qui unissent les bras, sont attachés de petits vases d'argile, ronds et allongés, percés de trous menus, tout pareils à des ocarinas. Alors, quand ils tournent, tous ces moulins font de la musique. Ils chantent sur des notes diverses qui s'enflent ou décroissent selon la force du vent. Et il y en a tant et tant de ces flûtes éoliennes que cela fait un concert touffu et confus. […] Je voudrais bien que cette musique n'eût été inventée par les meuniers lusitaniens que pour orner le vent, […] mais il me faut avouer que ces pipeaux tournoyants ne sont là que pour annoncer, la nuit, la proximité du moulin et éloigner du danger l'homme ou la bête qui passe.
(A. t'Serstevens, "l'itinéraire portugais", Grasset, Paris, 1940, p. 5.)

Bauen, Uri, lac de Lucerne, vers 1940
Autrefois au crépuscule, quand il y avait un peu de brouillard, on avait une corne de brume. Et quand le bateau arrivait depuis Lucerne on devait aller à la "Schwäntle" et à la "Schwäntle", le bateau donnait un signal avec la corne et on devait toujours répondre. Pour qu’ils sachent qu’ils étaient tout près des rochers. Et là, avec la corne de brume on devait toujours attendre une heure, et à chaque bateau qui appelait il fallait répondre avec la corne, il fallait répondre et ainsi ils savaient où ils étaient. La corne de brume était une corne de bœuf. Elle avait un timbre très grave : "tuuuuut tuuuuut !" comme les bateaux, assez semblable, mais on connaissait la différence. Plus tard, quand on ne l’a plus employée, on l’a eue comme corne d’incendie. Pendant plusieurs années ici j’ai été commandant du feu et l’alarme du feu on la donnait avec cette trompe.
(Elias Aschwanden, in : Pierre Mariétan, "Ecrit de musique – la musique du lieu", Commission nationale suisse pour l’Unesco, Berne 1997, p. 215 [trad. de l’Allemand])

Bruxelles – vers 1940
Chez moi, rue Charles Quint, on entendait la voiture du fournisseur de pain de "l'Union économique" déjà au haut de la rue, cela nous permettait de préparer la monnaie, d'aller à la porte pour l'attendre. Cette voiture se signalait de loin du fait du bruit que faisait le cerclage métallique autour des roues et passant sur les pavés.
(Michel Husson, communication personnelle, janvier 2013)

Rue Charles Quint : mais tu as tout dit ! Je n'ai (persque) rien à ajouter ! La charrette était peinte en vert… Et après son passage, il y avait parfois des gros cacas alignés l'un derrière l'autre au milieu de la rue.
Il y avait aussi le vendeur de lait avec sa petite charrette tirée par un chien qui était sous la charrette, le voden en benen et le rémouleur qui affutait les ciseaux et le couteau à pain…
Quelques chanteurs de rue aussi.
La rue était calme, il y avait deux propriétaires de voitures dans la rue dont un avait un garage et l'autre qui la laissait dans la rue.
Bruits : j'oubliais la sirène lugubre de la caserne de la place Dailly lorsque les bombardiers passaient au-dessus de Bruxelles pour aller bombarder Berlin mais c'était au printemps 44.

Paris - septembre 1940
[L'auteur, âgé de 16 ans et aveugle depuis l'âge de 8 ans, retrouve Paris après une courte installation à Toulouse après la débâcle de mai 1940.]
Un immense couvent aux parloirs déserts, voilà ce que Paris était devenu en cette fin de septembre 1940. Un an plus tôt, on n'entendait pas les cloches des églises, si ce n'était le dimanche matin pendant les quelques heures où la circulation des voitures ralentissaient. Maintenant, on n'entendait plus qu'elles. Dans notre appartement, situé boulevard du Port-Royal, à l'extrémité sud du quartier Latin, tout le jour je recevais les cloches du Val-de-Grâce, celles de Saint-Jacques-du-Haut-Pas et, si le vent venait de l'ouest, celles de Notre-Dame-des-Champ; s'il venait du nord, celles plus lointaines de Saint-Etienne-du-Mont, là-bas sur la place du Panthéon.
[...] Le soir, on était arrivé à la gare d'Austerlitz, venant de Toulouse. On n'avait pas trouvé de taxi. Il n'y avait plus de taxis. Il avait fallu prendre les valises en main et faire à pied les trois kilomètres qui nous séparaient de la maison. Le long des boulevards de l'Hôpital, Saint-Marcel et Port-Royal, on n'avait pas croisé une voiture, et les rares piétons marchaient au milieu de la chaussée, droit devant eux et très vite. Paris était beaucoup plus grand et beaucoup plus silencieux que dans mon souvenir.
(Jacques Lusseyran, "Et la lumière fut", Le Félin poche, Paris, 2008, p. 141.)

Oradour-sur-Glane, juin 1944
[comme le montre un témoin de cette terrible tragédie, l'usage du tambour est encore d'actualité en France, dans les années 40]:
"Un autre rescapé, M. Broussaudier (Clément), 26 ans, déclare:
"Le 10 juin 1944, après l'arrivée des Allemands dans le bourg, le tambour de ville Depierre-fiche passa dans les rues en lisant un ordre qui enjoignait à tous les habitants, sans exception, hommes, femmes et enfants d'avoir à se rassembler immédiatement sur le Champ de Foire, munis de leur papiers, pour vérification d'identité."
(Guy Pauchou & Dr Pierre Masfrand, "Oradour-sur-Glane une vision d'épouvante", ouvrage officiel du Comité du Souvenir et de l'Association Nationale des Familles des Martyrs d' Oradour-sur-Glane, Charles-Lavauzelle & Cie, Limoges, Paris, Nancy, 1970, p. 28.)

Venise - 1945
Pendant la bonne saison, la ville est la proie de ses hôtes; les beaux cafés, il faut les abandonner aux orchestres qui crient et grincent, tel des familles de cigales rageuses, entre les anciennes et les nouvelles Procuraties.
A la fin de novembre, quand les hôtes sont partis, qu'on n'entend plus d'autre son que celui très doux et puissant des cloches de saint-Marc, grande voix humaine, voix de toute une race,…
(Diego Valeri, "Fantaisies vénitiennes", Ed. A la Baconnière, Neuchatel, 1945, pp. 14-15. [ trad. Melle Lucienne Portier].)

Concarneau, vers 1947
On était réveillé chaque matin par le claquement des sabots sur le quai.
(Nesta Roberts, "Le tour de France par une Anglaise", Buchet/Chastel, Paris, 1979, p. 182.)

Turckheim, Alsace, 1948
Je me souviens du tambour de ville qui faisait les annonces dans le village. C'était un homme en uniforme, il frappait sur son tambour, les gens s'agglutinaient et venaient l'écouter dans la rue ou depuis les fenêtres. Puis il s'en allait plus loin et recommençait sa lecture des avis municipaux.
Il ya avait aussi un veilleur de nuit qui faisait le tour du village, passait dans les rues nuit chantant sa litanie: "dormez, dormez, il est 10 heures, … C'était comme l'annonce d'un couvre-feu pour faire une comparaison."
(Elisabeth Rohmer 70 ans, témoignage personnel, août 2014)

Milan – 1948
Les ciels couleur café au lait conviennent à Milan, comme à toutes les villes qui bourdonnent d'un travail intense (nous supposons que Londres, New York et Chicago en ont de semblables). […] Ainsi Milan ne se plaint pas de cet août voilé de fauve ou de gris, comme un paysage minier; du vacarme des tramways (on dirait que des chaînes immenses sont traînées sans cesse d'un bout à l'autre de la ville, alors que ce fracas est produit par les vides du sous-sol) à travers les rues qui sont, d'une certaine manière, décongestionnées.
(Anna Maria Ortese, "Tour d'Italie – récits de voyages", Actes Sud, Arles, 2006, p. 278.)

Mulbach, Alsace, fin années 50
Un tambour de ville (bot en alsacien) faisait les annonces municipales. Il tambourinait, attendait que les gens se rassemblent autour de lui, apparaissaient aux fenêtres, etc… puis il annonçait les nouveaux travaux d'assainissement, de voirie, etc…
(Renée Rohr, 74 ans, communication personnelle, septembre 2014)

Bretagne – première moitié XXè s
Beaucoup de fontaines, autrefois vénérées, ne servent plus qu’aux usages domestiques. Ces ″doués″ sur lesquelles se penchent des laveuses en coiffe, s’annoncent à distance par le bruit des battoirs et des conversations volubiles.
(guide Michelin Bretagne, 1965, p. 27)

Alicante – vers 1950
La promenade s'y appelle le paseo de los Martines. C'est une avenue à quatre rangs de palmiers-dattiers, que la population, vers sept heures du soir, arpente d'un bout à l'autre en exhibant tout ce qu'elle peut d'élégance. […]Des grands cafés à terrasse bordent cette promenade, armés de haut-parleurs qui tirent des obus de musique.
(Albert t'Serstevens, "Le nouvel itinéraire espagnol", S.E.G.E.P., Paris, 1951, p. 76.)

Merida – vers 1950
Le matin de la féria, nous nous sommes installés sur le pont romain, à l'endroit où l'une des rampes de pierre descend jusqu'au lit du fleuve.
Depuis l'aube, des caravanes s'avancent de tous les points de l'horizon. Il en sort à flots de la ville qu'elles ont traversée, venant du nord et de l'ouest ; il en descend par la route d'arbres qui relie Mérida à la campagne sévillane ; il en vient tout au long du fleuve, en aval et en amont du pont, longs cortèges de cavaliers, troupeaux innombrables que poussent devant eux des paysans montés sur des mules.
Ceux qui arrivent de la ville ou par la route de Zafra s'engagent sur le pont. Ce n'est plus qu'une masse grouillante que les parapets de pierre canalisent. Cela s'avance dans un tumulte de couleurs et de cris, jurons, bêlements, clarines et sonnettes, claquements de fouets, et le piétinement confus de toutes les bêtes montées et non montées.
(Albert t'Serstevens, "Le nouvel itinéraire espagnol", S.E.G.E.P., Paris, 1951, p. 235.)

Salamanque – vers 1950
La Plaza Mayor a de la monotonie dans sa grandeur. Elle n'en est pas moins l'une des plus belles places de cette Europe qui en a tant d'admirables. Comme notre place des Vosges, elle forme un quadrilatère entouré de galeries couvertes, mais elle n'est pas morte comme la nôtre et reste le centre vital de la cité. Il faut entendre la rumeur qui fait, à l'heure du paseo, cette foule palabreuse quand elle tourne au long des galeries: on croirait le ressac continu de la grande houle du Pacifique sur une plage de galets. Je me demande souvent à quoi peuvent penser des gens qui parlent si longtemps et si fort.
(Albert t'Serstevens, "Le nouvel itinéraire espagnol", S.E.G.E.P., Paris, 1951, p. 327.)

Cascais, Portugal vers 1950
Je me souviens du bruit du martèlement sur le pavé des sabots des vendeuses de poisson descendant vers le port.
(Carlos Alberto Augusto, communication personnelle, mars 2007)

Bruxelles – Schaerbeek - vers 1950
La question des sons a réveillé en moi plein de souvenirs des bruits qui ont accompagné mon enfance. Le rémouleur, le bruit caractéristique des trolleybus, le marchand de ferraille, qui dans mon quartier était aussi marchand de loques (le dur et le mou), le laitier qui venait déposer les bouteilles en verre au seuil des maisons, le bruit des DC3, avions à hélices que mon père m'a emmené voir à Melsbroek - un technicien devait lancer les moteurs à l'aide d'une longue tige reliée à un compresseur, s'en suivait une énorme pétarade accompagnée de fumée -, etc.
Le bruit des trolleybus : c’était les étincelles ? Il y avait plus d'une chose. En effet, le bruit des étincelles, mais aussi des câbles qui souffraient des écarts des bus en faisant "dzzzzidzii" et puis le trolleybus avait donc un moteur électrique, qui faisait "vvvvvooooo" (à prononcer à l'anglaise) rien à voir avec les bruits parfois inconvenants des autobus à moteur diesel! Pour les étincelles, rien ne valait les moments où le wattman devait raccrocher la flèche (avec l'expression bien connue "Jef, de flèch is af!). Là, il devait parfois s'y reprendre à plusieurs reprises, dans un concert d'étincelles. Et puis, le cliquetis que faisait le poinçonneur en perforant la carte de tram, suivi de l'injonction "avancez s'il vous plaît, doorschuiven alstublief!". Le bruit des plaques que le wattman changeait à l'aide d'une sangle lorsqu'il changeait de destination.
(Bob Verschueren, 62 ans, communication personnelle, le 6 juillet 2010)

Naples – 1951
Pendant que j'écris cette lettre, un bruit lointain de bombardement me rappelle que je suis à Naples, et que c'est la nuit du 15 aôut. Il est deux heures du matin passées, mais le fracas du tram et le bruissement rapide des trolleybus dans le viale Elena, les éclats de voix, les pas, les cris joyeux des gens derrière le petit portail du jardin évoquent une claire soirée plutôt que le petit matin.
Du reste, toute la ville est pleine de monde alors qu'ici, c'est assez calme. A Monte di Dio, où je suis passée il y a une demi-heure, il est impossible d'avancer à cause des feux de joie et des explosions, si violentes qu'elles enflammaient et lacéraient le ciel au-dessus de Ponte di Chiaia.
[…] Quelles nuits j'ai trouvées ici! Limpides, chaudes, et un silence incroyable pour qui vient de Rome, une ville totalement motorisée. Ces bruits de Naples sont nombreux, mais ils n'ont rien de moderne, ils ne font nullement penser à une civilisation, à un progrès, à une logique, et c'est pourquoi ils finissent par se confondre avec le bruit irréel de l'eau, du vent, des orages d'automne ou de printemps, qui déchirent la campagne phlégréenne et inondent d'une lumière livide les vertes collines et les vagues. Je suis de plus en plus persuadée que cette ville, malgré ses fureurs, est une ville rêveuse, dormante.
(Anna Maria Ortese, "Tour d'Italie – récits de voyages", Actes Sud, Arles, 2006, pp. 317-319.)

Florence – 1952
1er quartier: le développement central dans un cercle à l'ouest de Calzainoli:
Constant bourdonnement (hum) du trafic, cependant rarement à niveau élevé, et toussottement (sputter) des motocyclettes; certains haut-parleurs diffusant de la musique et des annonces, moins souvent du football et des voix.
2ème quartier: le quartier médiéval:
bruit de trafic de temps à autre très intense, spécialement les sons produits par le va et vient des bicyclettes (chatter of bikes), mais généralement plus bas, plus oscillant; football et voix, certains bruits de travaux.
3ème quartier: principalement celui de la Renaissance tardive et quelques extensions ultérieures:
bruit de trafic prédominant, mais est ondulant. Football et voix en bruit de fond.
4ème quartier: plus loin que le 3ème quartier, principalement XIXè s et un peu de croissance moderne:
en fond, occasionnellement des voitures et spécialement bruit de bus et de trains à une rue de distance. Quelques voix et du football mais aussi des oiseaux !
5ème quartier: vers S. Domenico, quartier suburbain:
merveilleuse absence de bruit de moteur. Voix et pas, chantant, apparaissant spécialement forts.
(Kevin Lynch: "In to Florence to survey "characteristic elements", 27 janvier 1952, in: "Writings and projects", pp. 118-129. [trad. M. C.].)

Venise – vers 1955
En été et en automne, plusieurs soirs par semaine, l'orchestre municipal propose le répertoire classique habituel, sur une estrade installée sur la place Saint-Marc. Plus vénitiennes sont la Marangona du Campanile, qui égrène les principales étapes de la journée aube, midi, minuit , la cloche de la tour de l'Horloge, de brique émaillée, que deux géants de bronze frappent toutes les heures, dans une envolée de pigeons, les cloches de San Francesco della Vigna qui résonnent sur la Laguna Morta. Les Vénitiens reconnaissent les différentes cloches à l'oreille. Leur dialecte possède une musique propre, aiguë mais douce, comme un pépiement d'oiseaux.
Le rythme en est vif, tout comme le pas rapide, martelé, que les Vénitiens ont adopté pour franchir leurs multiples ponts, qui s'arquent le plus souvent au dessus de l'eau en deux volées de marches.
(Mary McCarthy, "En observant Venise", Petite Bibliothèque Payot/Voyageurs, Paris, 2003, p. 150. [trad. Alain Defossé].)

Bruxelles, boulevard Anspach, vers 1957
J'étais réveillé par le bruits que faisaient les sabots des chevaux des livreurs de pain de l'Union Economique"
(Robin Colsaerts, communication personnelle, mars 2007)

Florence – vers 1959
Le gardien du jardin Boboli semble indifférent au tohu bohu, au vacarme infer-nal, littéralement démoniaque. Les klaxons hululent, claironnent, criaillent; les embrayages crissent; les freins couinent; les Vespa crachotent et pètent; les pneus chantent. Aucune voix humaine, pas même à la radio, n'est perceptible dans cette Babel mécanique, amplifiée par les rudes parois de pierre des palais. Si la vallée de l'Arno est un four naturel, les palais sont des amplificateurs naturels. Le bruit, omniprésent, ne cesse jamais, toute la journée, toute la nuit. Loin dans les faubourgs, à quatre heures du matin, le bavardage exubérant d'une Vespa se mêle au chant du coq; en ville, un travailleur matinal, faisant chauffer le moteur de son scooter, éveille une rue entière. Chacun se plaint du bruit; fenêtres ouvertes, personne ne peut parvenir à dormir. Les journaux du matin font état des protestations des propriétaires d'hôtel, qui déclarent que leurs établissements se vident: les étrangers quittent la ville; il faut agir; il faut promulguer une loi. Et, dans les hôtels, les chan-gements de chambre sont permanents. Le 13 s'installe au 22, le 22 passe au 33, et le 33 au 13, ou à Fiesole. En réalité, toutes les chambres sont bruyantes, toutes les chambres sont étouffantes, même celles qui disposent d'un ventilateur électrique. Les propriétaires le savent, mais que peuvent il y faire ? Afin de satisfaire la clientèle, ils participent avec empressement au ballet fallacieux des déménagements permanents. Si le client s'imagine être plus au calme, plus au frais dans une autre chambre, à quoi bon détruire ses illusions ? En vérité, à moins de quitter Florence, il n'y a rien à faire jusqu'à l'automne, quand alors on peut de nouveau fermer les fenêtres. Une loi existe bel et bien, qui interdit l'usage de l'avertisseur en ville, mais il est impossible de circuler dans une ville comme Florence sans klaxonner pour faire dégager les piétons.
Quant aux Vespa et Lambretta, plaies de l'aube, quelle loi peut on inventer pour rendre leur moteur silencieux ? Les lecteurs des journaux du matin envoient des suggestions; une réunion a lieu au Palazzo Vecchio, au cours de laquelle d'autres suggestions sont apportées: médailles du mérite aux conducteurs silencieux; procès du gouvernement contre les fabricants; brigade de police spéciale, la nuit, chargée d'arrêter les fauteurs de bruit de toute espèce; décret pour imposer un certain type de silencieux, pour pénaliser ceux qui font « hurler » leur moteur, pour interdire aux scooters l'accès au centre de la ville. Cette dernière proposition reçoit un accueil enthousiaste; c'est la seule qui soit assez draconienne pour susciter quelque lueur d'espoir. Mais l'association des propriétaires de scooters proteste immédiatement, et énergiquement (la pro-position est « antidémocratique », et « discriminatoire ») et le journal qui mène la croisade contre le bruit en rabat instantanément, Florence étant une société démocratique, et les propriétaires de scooters le popolo minuto petits employés, artisans et ouvriers. Il serait injuste, admet le journal, de pénaliser les conducteurs bien élevés pour le comportement de quelques « sauvages », et injuste également de ne prendre en considération que le centre ville et l'aspect touristique des choses; les habitants des faubourgs ont, eux aussi, le droit de dormir. De nouveau, on soulève l'idée d'une brigade assermentée, dotée de pouvoirs discrétionnaires, bien que son budget ne permette guère à la ville de se l'offrir. D'ici là, le journal ne voit pas d'autre solution que de faire appel à la gentilezza des conducteurs. Ce qui, toutefois, relève de l'utopie : les Italiens n'ont aucun esprit civique.
(Mary McCarthy, "Les pierres de Florence", Petite Bibliothèque Payot/Voyageurs, Paris, 2003, pp. 18-19. [trad. Alain Defossé].)

Florence – vers 1959
Dans les petites rues de Santa Croce, les plus éloignées des élégants magasins de linge fin de la Via de' Tornabuoni, on perçoit deux sons typiques, lorsque la circulation se calme un instant, deux bruits qui sont la Florence moderne: le clic-clac d'une machine à coudre et le tintement d'un vieux piano, sur lequel une jeune fille fait ses gammes.
(Mary McCarthy, "Les pierres de Florence", Petite Bibliothèque Payot/Voyageurs, Paris, 2003, p. 227. [trad. Alain Defossé].)

Venise - 1960
[...] On entend le rire des enfants, le carillon des cloches de la Salute, l'appel d'un passant qui crie au gondolier du traghetto, de l'autre côté du canal: "Hé, Pope!", toute cette rumeur vivante et maritime de Venise, la vivante, la vivace et la vive.
[...] Que le vent sorte de ses repaires, et les vagues au bord de la piazzetta tapent sur le ventre des gondoles, gaies comme un palefrenier qui claque la croupe du cheval.
(Claude Roy, "Le Journal des voyages", 1960, in: "Venise entre les lignes", Denoël, Paris, 1999, pp. 59-60.)

Venise - vers 1960
Je me souviens avec beaucoup de clarté de la plus grande expérience urbaine que je n'ai jamais eue. C'était à Venise en hiver. Devant la basilique San Marco, la grande place, que Napoléon a surnommé le plus beau salon d'Europe, était vide. Il faisait froid et y avait du brouillard et le sommet du Campanile se montrait rarement ensoleillé au-dessus de la brume de mer traînante. La marée était montante, et les pierres blanches et noires des dessins compliqués du sol étaient couverts d'un fin film d'eau. Il n'y avait aucun son, pas d'échappement automobile, pas de bus. Absolument silencieux au cœur même de la cité. On pouvait entendre très légèrement au loin quelques jeunes gens chanter. Soudain, l'air devint noir d'oiseaux, la place remplie du battement des milliers d'ailes, le bruit montait et montait jusqu'à devenir assourdissant, et la place déserte devint absolument couverte de pigeons. Le bruit était incroyable, même effrayant. Ils venaient manger, et quand ils ont eu fini, ils sont partis tout aussi rapidement, et la grande place redevint à nouveau vide et silencieuse.
(L. Halprin, "Cities", Rheinhold, New York, 1963, p. 9. [trad. M.C.].)

Cajarc, 46160 Lot, 1963
Un tambour de ville existait encore à cette époque. Il se plaçait au milieu de la place et disait avec son fort accent: "Avis à la population de Cajarc: ….." et recommençait son annonce dans 2 autres points du village.
(Véronique Duphénieux, 60 ans, communication personnelle, août 2014)

Palerme – 1965
Suffocant, éblouissant marché de Palerme ! Des fruits et des légumes de toute espèce et de toute couleur s'amoncellent dans un fantastique bariolage. […] Plus loin, des pièces de viande, blanchâtres, où l'odorant jasmin a été planté; les paquets de tripes, rugueuses comme des peaux de mouton; des centaines de variétés de poissons […] la misère, la saleté, consumées en intempérance d'étalages; le goût absurde pour l'accumulation, de marchandises souvent incomestibles; l'art de se consoler par les yeux des offenses innombrables de la vie. Et encore: la voix rauque, la voix sifflante des gamins maraudant entre les piles de cageots et les monceaux de détritus; la litanie des noms de fruits, des noms de légumes, des noms de poissons, modulé sur une note basse, unique, obsédante, par les vendeurs infatigables.
(Dominique Fernandez, "Mère méditerranée", Bernard Grasset, Paris, 1965, pp. 174-175.)

Moscou – vers 1977
Dans les rues, il y a beaucoup moins de voitures que dans une ville occidentale et la sonorité y est complètement différente.
(Michel Butor, in: "Rencontres", RTBF radio 1977.)

Paris - 1980
Voici donc ce petit cloître qui nous donne son silence à lui, son silence du xvè siècle, et ses arcades pensives présentent assez bien l'image d'une âme qui se replie sur elle-même et se recueille comme nous ne savons plus le faire. J'en arrive là, en effet, et retrouve mon point de départ en visitant par le souvenir ce vestige du grand Paris médiéval. L'après midi touchait à sa fin; il y avait dans ces murs, dans l'ombre des piliers massifs, un peu du trésor qu'on nous arrache à toute heure du jour et dont la privation définitive ferait périr en nous ce que nous possédons encore de meilleur; il y avait le silence, un silence non pas troublé, mais rendu plus profond par le bruit égal et cristallin d'une goutte d'eau tombant dans un baquet, non loin d'un arbuste qui tendait vers le ciel ses petites feuilles toutes neuves et transparentes; et sur le rebord de la fenêtre par laquelle la concierge jetait parfois un coup d'oeil de mon côté, un chat blanc, tacheté de noir, son masque posé de travers sur un visage d'assassin, surveillait avec une patience féroce un pigeon gris et mauve qui roucoulait en sourdine, innocemment, sous les branches.
(Julien Green, "Paris", Champ Vallon, Seuil, coll. Points Essais n° 199, Paris, 1983, p.75-76.)

Paris - 1980
Un peu plus loin, à l'atelier de Delacroix, place Furstemberg. Le charmant jardin en contrebas où il fait si bon s'asseoir, à l'ombre des arbres, dans le silence où passe la brise, par ce beau jour d'été, à deux pas de l'assourdissant boulevard Saint Germain. Tout autour, de vieilles maisons aux fenêtres ouvertes, et ces fenêtres sont toutes noires. Des aquarelles de Delacroix, de Huet, de Riesener, de Hugo, partout du rêve. Cette oasis dans notre siècle si tristement dépourvu de poésie. Au dessus de nos têtes, un ciel d'un bleu léger où flottent des nuages qui ressemblent à de la vapeur.
(Julien Green, "Paris", Champ Vallon, Seuil, coll. Points Essais n° 199, Paris, 1983, p. 88.)

Rome - vers 1980
Je n’étais pourtant pas toujours insensible, loin de là, et même au long de la Via dei Fori imperiali, au piment d’un vacarme motorisé qui transperce de part en part des cimetières. Ce qui se mélange, et même s’allie, plus ou moins harmo-nieusement, dans le reste de la ville, atteint ici une dissonance crue, brutale, qui n’est pas sans charme pour une sensibilité paysagiste contemporaine. Par là, Rome, qui berçait seulement naguère le ressassement et le recueillement ex-quis des âmes lasses, bondit d’un coup dans une modernité acide et astringen-te, et m’en sentais quelquefois, au long de mes vagabondages, ragaillardi.
(Julien Gracq, "Autour des sept collines", José Corti, Paris, 1988, pp. 70-71)

Rome - vers 1980
Vieillards à barbe de fleuve, dauphins, tritons, naïades, chevaux marins, hippocampes, s'ébrouant, recrachant, éclaboussés, douchés, arrosant et arrosés, mènent sur les places de Rome un sabbat aquatique inopiné, dont les photographies de la ville faute du bruitage, si décisif dès qu'il s'agit de l'eau ne donnent qu'une piètre idée.
(Julien Gracq, "Autour des sept collines", José Corti, Paris, 1988, p. 85.)

Londres - vers 1985
Si l’on reste immobile sous une porte cochère, vers cinq heures dans la City, on a la surprise d’entendre une rumeur ample, sèche, incessante, venue du sol. Dans cette ville où tout est possible, on songe à un régiment de cavalerie qui défilerait au complet par les rues voisines – oui, sans doute, ces bruits que l’oreille, à l’écoute cette fois, distingue claires saccades, battues nerveuses sur le macadam, sont des sabots. Puis à ne jamais les percevoir se rapprocher, à ne jamais finir par voir de chevaux, le doute vient, l’erreur se dissipe: ce n’est que la martèlement régulier des pas de centaines de milliers d’employés, bureaucrates et autres, qui d’un même élan sans distraction se hâtent de rentrer chez eux.
(Claude Dourguin, "La lumière des villes", Champ Vallon, Seyssel, 1990, pp. 35-36)

Venise - 1992
L'hiver dans cette ville, le dimanche surtout, vous vous réveillez au carillon des cloches innombrables comme si, derrière les rideaux de gaze, un gigantesque service en porcelaine vibrait ur un plateau d'argent dans le ciel gris perle. Vous ouvrez grand la fenêtre et la chambre s'emplit en un instant de cette brume extérieure chargée de sons de cloches, faite d'oxygène moite, de café et de prières.
(Joseph Brodsky, "Acqua alta", Gallimard, Arcades, Paris, 1992, p. 29 , [trad. de l'anglais par Benoît Cœuré et Véronique Schiltz])

Rome : le Panthéon, 1998.
La moitié supérieure est une parfaite demi sphère. La moitié inférieure est un cylindre, et toutes deux ont le même rayon et la même hauteur. La lumière pénètre dans l’espace par le centre du dôme. C’est un espace parfait. L’échelle est parfaite pour le corps humain, elle permet de réfléchir au rapport entre l’univers et la forme humaine. Quand on dirige un chœur dans ce lieu, la voix humaine résonne comme un univers. Le dimanche à dix heures, on y fait chanter un chœur. En novembre dernier, je suis allé faire une conférence à l’Université de Rome, et j’ai pu assister à la messe. Cet évènement m’a confirmé que l’architecture n’est pas seulement forme, lumière, son, matériau, mais l’intégration idéale de toutes choses. L’élément humain est ce qui unifie l’ensemble. Un grand édifice ne s’anime que lorsque quelqu’un y pénètre. La forme n’est de l’imagination. La forme éveille l’imagination. Le Panthéon en est un puissant exemple.
(Tadao Ando : ″Du béton et d’autres secrets de l’architecture″, interviewé par Michael Auping, Edition de L’Arche, Paris, 2007, p. 36 ; trad. Leonor Baldaque)

Berlin – 1999
J'ai pris mes quartiers loin des hôtels internationaux et ce n'est pas innocent si j'ai choisi d'habiter "à l'Est". J'avais atterri à Tegel sans même avoir réservé de chambre, mais j'avais quelques adresses en poche et je trouvais vite à me loger dans une petite pension dont les fenêtres donnaient sur Friedrichstrasse. Je louais une petite pièce, située au troisième étage d'un immeuble ancien, presqu'à l'angle de Kochstrasse. Une enseigne peinte sous le porche annonçait que l'endroit avait pour nom Die Loge.[…] La nuit venue, étendu entre les draps d'un lit trop étroit, j'entendais le roulement sourd des tramways et le crissement neuveux des pneus des voitures de la Polizei. Entre les murs de "La Loge", j'étais exactement là où bat le cœur de Mitte.
(Serge Mouraret, "Berlin carnets d'amour et de haine", L'Harmattan, Paris, 2002, p. 18.)

Pèlerinages à Saint-Jacques de Compostelle.
La traversée des Pyrénées: "ces étapes sont redoutables car les pèlerins craignent de se perdre. C'est pourquoi les monastères et les hospices placés sur le chemin font sonner leur cloche à intervalles réguliers."
(André Sigal, "La vie quotidienne des pèlerins de Compostelle", in collectif, "Vivre au Moyen Age", éditions Tallendier, Paris, 1998, p. 51)

Un village de France
Le plus cultivé des villageois : celui qui par la subtilité de son ouïe percevrait à la fois, et en leur donnant leur plus juste valeur, le bruit de l'écritoire du clerc de notaire, de la règle d'un élève, du chiffon de la domestique du médecin en train d'astiquer sa plaque, de l'enclume du forgeron, du juron du fossoyeur, du balai d'une ménagère, du tintement du magasin de la mercière, de la boulangère, des coups de hachoir du boucher, du halètement d'un vieillard asthmatique, des coups de griffe du chat de l'huissier. Education infinie d'une oreille qui s’intéresse aux différences alors qu’à la même époque les hommes des villes s’enivrent sur les boulevards, dans les gares, dans les brasseries, des chahuts indistincts et des rumeurs anonymes !
(Pierre Sansot, "La France sensible", Champ Vallon, coll. Milieux, Seysel, 1985, pp. 194-195)

Dans l’ancienne France, les femmes ne s’asseyaient pas avec les hommes à table. […] Les hommes mangeaient en même temps que le maître ; mais quand celui-ci fermait son couteau d’un coup sec, c’était le signal de la fin du repas. Chacun devait se lever de table.
(Pierre Jakez Hélias, Cheval d’orgueil, 1975, p. 24)

Les conducteurs de locomotives jaugeaient la vitesse à laquelle ils roulaient rien qu'en entendant le dou-doum des joints entre les rails. C'était comme un métronome qui donnait la bonne vitesse
(entre Manchester et Londres)

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