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Paris - début XIXè
Il commençait à faire nuit quand nous […] approchâmes [de Paris], je sentais une odeur nauséabonde qui me semblait augmenter de plus en plus. "C'est l'odeur des boues de Paris que vous sentez, me dit Fontenet, vous vous y habituerez vite." Premier démenti donné par mon imagination exaltée qui m'avait fait croire qu'à une demi-lieue à la ronde toute l'atmosphère devait être embaumée et sentir le musc et la fleur d'oranger. Notre voiture, dont une roue arrière venait de se briser, se renversa au milieu de la rue […] et nous voilà pataugeant dans une boue noire et gluante où nous enfoncions jusqu'à la cheville, et dans un embarras indescriptible de voitures et de fiacres, occasionné et augmenté par la chute de notre véhicule. Nous eûmes bien de la peine à nous tirer de cette bagarre. La rue était mal éclairée, les maisons hautes comme des tours, noires et malpropres. Des cochers de toutes catégories juraient, pestaient, criaient de leur voix enrouée… C'était un vacarme épouvantable. Non, certes, ce n'était pas dans la nouvelle Jérusalem que j'avais enfin débarqué, mais dans l'enfer que j'étais tombé. Et ce fut le second démenti donné à ma trop docile imagination. […] Moi qui aime avec passion le calme, la solitude de la campagne et le recueillement, dans quel lieu infernal étais-je donc tombé! Ah! Comme je regrettais ma paisible chambre [à Mannheim] et surtout ma douce et tendre Jeannette à qui j'écrivis dès le lendemain, à l'adresse convenue, une lettre désolée.
(Christian de Mannlich, "Mémoires du chevalier Christian de Mannlich, 1740-1822, éd. par J. Delage, Paris, Calman-Lévy, 1949, p. 52.)

Bordeaux - 1801
Quant à l'aspect extérieur de la ville, toutes les rues, petites ou grandes, sont propres, mais presque toutes mal pavées. Il n'y a pas le bruit, la confusion et les encombrements de la capitale. L'animation commerciale est concentrée aux Chartrons et dans le quartier de la Bourse. On voit peu de voitures et de cabriolets et le nombre des fiacres est insignifiant par rapport à l'importance de la ville. Les prix des voitures sont arbitraires et très élevés. Rien ne trouble la tranquillité de la nuit. Dès onze heures du soir, les maisons et les rares cafés qui existent ici sont fermés. Même pendant le jour, ces cafés ne sont guère fréquentés plus de quelques heures.
(Lorenz Meyer, in: Louis Desgraves, "Voyageurs à Bordeaux du dix-septième siècle à 1914", Mollat éditeurs, 1991, p. 108.)

Lezoux - 1801
Arrêté pris par les Maire et adjoints concernant les rues et fontaines.
Du 14 nivôse [de l'an IX (4 janvier 1801)] les Maire et adjoints réunis prenant en considération la propreté des rues de la commune de Lezoux ainsy que des fontaines, objet qui a une si grande influence sur la salubrité de l'air arrêtent ce qui suit
1er
Il est défendu à tous citoyens décarter de la paille sur les pavés devant leur porte pour faire du fumier, et dacumuler des fumiers dans les ruës sous peine d'être punis conformément aux lois
art 2
Il est défendu à tous citoyens de laver des tripes du linge et autres objets dans les bacs des fontaines. Les contrevenants seront punis conformément à la loi
art 3
Le présent arrêté sera rendu public par la voie de l'affiche et publication au son du tambour.
Duchasseint, maire.
(Source : AD63 Série D Administration générale de la commune de Lezoux (commune 63190 – Puy de Dôme) : 1 MI 561/6 Texte déposé par Michèle Chadelas Source:http://perso.orange.fr/j.marchanl/anecdotes/quot63.html))

Paris – 18 avril 1802
Le 28 germinal an X (18 avril 1802), le jour de Pâques, le bourdon de Notre-Dame, après quelques 10 ans de silence, sonne, tout à la fois, la publication du Concordat et la signature de la paix d'Amiens. Quelques minutes plus tard, toutes les cloches de la capitale se mettent en branle. Le souvenir de l'émotion éprouvée en ce jour, qui met symboliquement fin à la Révolution, a été, par la suite, ressassé.
[…] Le volume sonore des cloches parisiennes, en ce jour de Pâques, est très faible, comparé à celui des sonneries du 14 juillet 1790. Le clergé ne peut solenniser ses messages avec la même puissance que naguère. Une cloche unique ne produit pas la même ébranlement de la sensualité que les volées imbriquées et harmonieuses d'une puissante sonnerie.
(Alain Corbin, "Les cloches de la terre – paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXè siècle", Albin Michel, Paris, 1994, coll. Champs/Flammarion, p. 45.)

Paris et la France – 1803
Par ailleurs, les gens du peuple ne vivent pas de manière aussi gaie et contente que dans notre Allemagne bien aimée. Nous n'avons entendu nulle part ni musique ni vu aucun bal, ce que nous pouvons vivre chaque semaine chez nous. Même le joyeux son du clairon postal disparaît dès que nous foulons le sol français. Les postillons français d'autre part discute sans cesse et parfois de manière si forte qu'il nous rend sourd.
… le tintement des cloches n'est pas non plus dérangeant en France. Je ne me souviens pas avoir entendu une cloche, que ce soit à Paris ou ailleurs. Comme pour la religion, j'ose dire que la plus grande partie du peuple français n'est pas non plus doué pour aucune de ces choses.
("Das Reisetagebuch des Herrn Vin-zenz Kreibig im Jahre 1803", in: "Atlantis", Bibliographisches Institut A.G. Leipzig, Atlantis Verlag Zurich, Heft 10, Oktber 1932, p. 598-599, extrait de "World sound-scape project - sound references in litterature", http://www.sfu.ca/sonic-studio.srs/Lit137.html)
[trad. Marc Crunelle])

Rome – 18 janvier 1804
A tous les bruits ordinaires des grandes cités, se mèle ici le bruit des eaux que l'on entend de toutes parts, comme si l'on étoit auprès des fontaines de Blandusie ou d'Egérie.
(Chateaubriand, "Lettre à M. de Fontanes", in: "Voyage en Italie", Librairie Droz, Genève, 1968, pp. 130-131.)

Pays-Bas - 1806
La police de nuit en Hollande devrait servir d'exemple à celle d'Angleterre. Les hommes de guet, ici, sont forts, résolus et bien payés, mais ils sont importuns pour un étranger; car, en frappant le quart sur une planche avec un maillet, ils interrompent son repos, à moins qu'il n'ait le bonheur de dormir dans une pièce à l'arrière, ou jusqu'à ce qu'il soit accoutumé à ce claquement. Les vols et les incendies sont très rares pendant la nuit: par précaution contre ce dernier évènement, on paie des hommes qui se tiennent jour et nuit, au haut des tours et des clochers des plus hautes églises, et dès qu'ils aperçoivent des flammes, ils suspendent, si c'est le jour, un drapeau; si c'est la nuit, une lanterne dans la direction de la ville où le feu apparaît, accompagné du son d'une trompette.
(sir John Carr, "Voyage en Hollande et dans le midi de l'Allemagne, sur les deux rives du Rhin, dans l'été de 1806", tome premier, Léopold Collin, Paris, 1809, pp. 268-269. [trad. Madame Keralio-Robert et Marc Crunelle]

Naples, 16 avril 1815
Ici la vie est facile, et le peuple, auquel un léger travail suffit pour obtenir sa subsistance, semble né pour le plaisir et le repos. Dès le matin il entoure les tréteaux des bateleurs et des joueurs d'instrumens. Des jeunes gens robustes jouent aux cartes et aux dés dans les places; des cabriolets dorés parcourent rapidement les rues pavées de larges laves et transportent au galop, à Portici, à Résina, dans toutes les villes de la côte, les familles qui s'entassent dans ces légères voitures. Cependant cette population oisive qui ne pense jamais au lendemain, s'agite, crie, gesticule avec feu. On la croiroit occupée des intérêts des plus importans. Bientôt elle oublie le sujet de tant de mouvement, et se tait.
Nous sommes montés à l'ancien couvent des chartreux qui domine la ville Chaque cri des habitans de Naples parvient dans ce lieu tranquille, et forme un bourdonnement continuel. Un homme qui n'est pas accoutumé à ce tumulte, pourroit croire la ville en proie à une violente sédition ; mais les intérêts seuls de la vie ordinaire font naître toute cette agitation.
(George Mallet, "Voyage en Italie dans l'année 1815", J.-J. Paschoud, Paris, 1817, pp. 163-164.) [orthographe originale respectée]

Naples - 1815
On est réveillé de grand matin à Naples par le bruit du peuple. Des marchands sortent de leurs maisons et s'établissent dans la rue; un artisan suivi de ses ouvriers se place, devant la porte de sa boutique; à côté de lui, un changeur pose sa banque; la fumée d'une chaudière de macaronis attire une troupe de gens du peuple; chacun d'eux reçoit pour un grain une portion de son mets favori; des ânes chargés de légumes sont dirigés sur la place du marché; des magasins de blé, de lentilles, de pois et de farine, des corbeilles de fleurs et de fruits ornent les rues. Au milieu de cette abondance circule une population oisive et déguenillée; des jeunes gens pleins de force et à demi-nus jouent aux cartes dans les carrefours, ou s'endorment le long des murs des maisons; des mendians harcellent les passant et les fatiguent de leurs cris. Bientôt les portes et les fenêtres des palais s’ouvrent et laissent découvrir ce qui se passe dans l'intérieur de l’appartement; les habitants paroissent sur leurs balcons, en habit du matin ; les femmes saluent leurs amis de ce geste gracieux de la main généralement adopté en Italie; c'est sur le balcon qu'elles reçoivent les visites, c'est de-là que s'établissent par signes des conversations avec les habitans des maisons voisines : des entretiens très-animés ont lieu de cette manière ; des déclarations d'amour et des réponses fort tendres passent d'une rue à l'autre sans trahir les deux amans.
Le bruit et le mouvement augmentent; les cris des cochers, ceux des marchands embulans, les gestes passionnés, les disputes, les jeux de la populace, offrent des spectacles curieux; de petits chevaux ornés de rubans et de plumes, dirigés par un caveçon, entraînent avec rapidité des cabriolets dorés; quelquefois un moine remplit à lui seul l'intérieur de ces légères voitures le conducteur, assis de côté sur le brancard les jambes pendantes, tient les rênes ; un petit garçon, debout derrière, est chargé de fouetter le cheval et de l'exciter par ses cris; le religieux dans une heureuse insouciance fend la foule et voit ses ouailles s'incliner à son passage.
Des le matin, la rue qui conduit de la place Médine au port, est couverte de tréteaux, d’où les batteleurs haranguent le peuple ; des écriteaux, des peintures y promettent des spectacles intéressans. Le démonstrateur de la lanterne magique fait successivement passer en revue aux enfans qui se groupent autour de sa caisse, Madrid, le fameux Capitole de Rome avec la statue équestre du grand Empereur, Arlequin qui danse. Un théâtre de marionnettes donne ses représentations en plein air, et les galériens eux-mêmes obtiennent d'arrêter un moment la charrette à laquelle ils sont enchaînés, pour voir une scène de Polichinelle qui bat sa femme. Une musique bruyante attire le peuple près d'une estrade; quelques femmes brûlées par le soleil vêtues d'oripeaux brillans de paillettes, joignent les accens de leur voix fatiguée au bruit du violon et de la trompette; Polichinelle couvert d'un surplis qui devroit être blanc, fait tour-à-tour sortir d'une espèce de corne des sons rudes et discordans et tour-à- tour s'Interrompt pour se livrer au rôle pénible de bouffon auquel il est condamné, tandis qu'une danseuse exécute à côté de lui quelques tours d'adresse; tout-à-coup le maître d'orchestre pose son violon et fait signe qu'il veut parler; la musique cesse. Polichinelle, s’écrie la virtuose, que penses-tu de l’inconcevable agilité de cette dame ? des tours aussi remarquables t’étonnent ? Eh bien Polichinelle, dis à cette honorable assemblée, qu’ils ne sont rien, absolument rien en comparaison de ceux qui vont s’exécuter sur notre théâtre.
[…]
A une heure après midi, le mouvement diminue, les Napolitains se retirent pour dîner et pour dormir; les balcons sont abandonnés, les volets se ferment; les rues, pendant deux heures, sont presque désertes.
Au coucher du soleil, les habitans aisés se rendent à la promenade les voitures (p. 202)
[…]
Le soir, les rues et les places se remplissent de promeneurs ; la brise qui s’élève de lamer rend la vie et la gaité à une population accablée par la chaleur du jour.
[…]
Au sortir du spectacle, on entre en foule dans les cafés, qui, tous ouverts sur la rue, brillent d'une vive clarté ; un grand nombre de voitures s'arrêtent devant les limonadiers les plus en vogue. Des enfans portent des corbeilles de fleurs de café en café; des joueurs de gobelets viennent offrir d'y exercer leur adresse. Des bandes de musiciens chargés de harpes légères, font entendre dans la rue des concerts, et s’accompagnent de leur voix.
(George Mallet, "Voyage en Italie dans l'année 1815", J.-J. Paschoud, Paris, 1817, pp. 198-207.) [orthographe originale respectée]

Rome – 1815
En avançant vers la place d'Espagne, on entre dans le quartier habité par les étrangers. Là, les marchands de gravures et de mosaïques étalent leurs trésors; là, se dirigent les voitures de poste qui y arrivent à toute heure, au bruit des claquemens de fouet. On voit s'y rassembler le matin les domestiques de place, les cicérones, les calèches; le mauvais air ramenant chaque soir dans l'intérieur de la ville les troupeaux qui paissent dans les environs; le bruit des clochettes rappelle quelquefois dans Rome les villages de la Suisse; un troupeau de chèvres traverse souvent la place d'Espagne, et escalade deux fois le jour le bel escalier de la Trinita del Monte.
(George Mallet, "Voyage en Italie dans l'année 1815", J.-J. Paschoud, Paris, 1817, pp. 81-82.) [orthographe originale respectée]

Biarritz – 23 mai 1819
Biarritz est à une lieu de la ville, c'est un pauvre village habité par des pêcheurs, mais la saison des eaux, ou pour mieux dire celle où l'on prend les bains de mer, y attire beaucoup de monde. Ce qu'il y a de plus intéressant est cette côte hérissée de rochers, creusés par la mer et déchirés de toutes les façons: les vagues qui viennent se précipiter contre ces rocs, ou qui s'engloutissent dans leurs cavités, produisent un son, un bruit sourd, qui répété de roc en roc, rend la scène très imposante.
(Henrica Rees Van Tets, "Voyage d'une Hollandaise en France en 1819", Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1966, pp. 74-75.)

Toulouse – 12 juin 1819
C’était aujourd’hui la Fête-Dieu, et à cette occasion j’ai vu une procession qui mérite d’être retracée. Elle s’assembla dans l’église de Saint-Etienne, et lorsqu’elle en sortit, elle s’arrangea sur place devant notre hôtel, d’où je pouvais la voir à merveille. Toutes les différentes paroisses y avaient envoyé leurs prêtres, et leurs croix ; le nombre des premiers monta à 630. Le Parlement en robes rouges, les Cours de Justice, le Préfet, le Maire, les corps d’officiers de la garnison, enfin toutes les autorités civiles et militaires, avec cela un groupe d’enfants habillés en pèlerins et pèlerines, en anges, en ermites, en saints et en saintes : un petit saint Jean-Baptiste, qui n’avait pas cinq ans, je crois, couvert d’une peau d’agneau, était surtout charmant. La musique guerrière d’une nombreuse garnison, le carillon de la cathédrale, le tintement des clochettes, enfin le chant nasillant de six cent prêtres, tout cela faisait un tintamarre à se boucher les oreilles.
(Henrica Rees Van Tets, "Voyage d’une Hollandaise en France en 1819", Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1966, p. 108)

Berlin – mars 1821
Les soirées sont longues à Berlin. J'habite un hôtel appartenant à madame la duchesse de Dino. Dès l'entrée de la nuit, mes secrétaires m'abandonnent. Quand il n'y a pas de fête à la cour pour le mariage du grand-duc et de la grande-duchesse Nicolas, je reste chez moi. Enfermé seul auprès d'un poêle à figure morne, je n'entends que le cri de la sentinelle à la porte de Brandebourg, et les pas sur la neige de l'homme qui siffle les heures.
(Chateaubriand, "Mémoires d'Outre-Tombe" (livre quatrième, chap. 1), Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, vol. I, Paris, 1951, p. 109.)

Naples – 1822
Il n’y a peut-être pas de pays en Europe où l’on aime plus les pétarades de poudre et les coups de canon qu’à Naples, bien entendu de ces coups ronflants, mais sans mitraille et sans balles. Dans les plus petites fêtes on fait un usage incroyable de certaines petites masses de fer creusées légèrement que l’on remplit de poudre, que l’on fait détonner à la file par un trait de feu. Bien des fois pendant mon séjour mon ouïe fut cruellement offensée nuit et jour par ces épouvantables explosions.
[…] Le bruit auquel on a beaucoup de peine à s’accoutumer à Naples est celui du tintement précipité, aigu et très vif des cloches des églises. Je n’en ai entendu aucune qui ait un son grave.
(André Jacopssen, "Itinéraires d’un Brugeois en Italie et en Sicile (1821-1823)", Librairie Droz S.A., Genève, 2008, pp. 291, 301)

Madrid – 1826
On sonne la retraite des troupes immédiatement après celle des prêtres. Soit habitude, soit fanfaronnade, cette retraite est tellement bruyante qu’on peut l’entendre de tous les points de Madrid. Soixante tambours se réunissent avec leurs fifres à la Puerta del Sol, devant l’hôtel des Postes, escortés par un piquet d’infanterie, et ils se partagent en deux détachements pour balayer les diverses rues de la capitale.
(Adolphe Blanqui, ″Voyage à Madrid″, in: "Bartolomé et Lucile Bennassar, "Le voyage en Espagne Anthologie des voyageurs français et francophones du XVIè au XIXè siècle", Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1998, p. 345)

Venise – vers 1827
On a, je crois, singulièrement exagéré le silence de Venise : après Rome, nulle part en Italie le son des cloches n’est peut-être plus bruyant, et les cris du peuple ne le cèdent qu’aux seuls Napolitains.
(M. Valéry, "Voyages historiques et littéraires en Italie pendant les années 1826, 1827 et 1828", Louis Hauman et compagnie, Bruxelles, 1835, p. 126)

Naples – 1828
Rien n’est plus surprenant que la foule qui encombre les rues de Naples, et le tapage infernal qu’elle fait.
(Louis Simond, "Voyage en Italie et en Sicile", vol. II, Sautelet et Cie, Paris, 1828, p. 94)

Paris
au bord de la Seine - il y avait grand vacarme des blanchisseuses, elles criaient, parlaient, chantaient du matin au soir le long du bord, et y battaient fort le linge, comme de nos jours. Ce n'est pas la moindre gaité de Paris.
(Victor Hugo, "Notre-Dame de Paris")

Venise – septembre 1833
Rentré à mon auberge, je me suis couché et endormi au chant des gondoliers stationnés sous les fenêtres.
(Chateaubriand, "Mémoires d'Outre-Tombe" (chap. 5), Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, vol. II, Paris, 1951, p. 775.)

Venise – 15 septembre 1833
Je me jetai dans une gondole, et m'en allai avec Hyacinthe et Antonio parcourir le labyrinthe des canaux les plus infréquentés.
On n'entendait que le bruit de nos rames au pied des palais sonores, d'autant plus retentissants qu'ils sont vides. Tel d'entre eux, fermé depuis quarante ans, n'a vu entrer personne: là sont suspendus des portraits oubliés qui se regardent en silence à travers la nuit: si j'avais frappé ils seraient venus m'ouvrir la porte, me demander ce que je voulais et pourquoi je troublais leur repos.
(Chateaubriand, "Mémoires d'Outre-Tombe" (chap. 15), Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, vol. II, Paris, 1951, p. 1020.)

Côme – 3 novembre 1833
Ce pays-ci ne ressemble à rien de ce que j’ai vu; sous mes fenêtres deux musiciens jouent du violon dans une barque; dans les rues une foule de grands, de moyens et de petits abbés; rien de plus comique que ces petits abbés à peine âgés de dix ans; mis comme nos curés, et comme eux coiffés de tricornes, ils se promènent les mains dans les poches, en sifflant.
(marquis de Beauffort, " Souvenirs d’Italie, par un catholique", cinquième édition, Société des Beaux-Arts, Bruxelles, 1839, p. 30)

Milan – 5 novembre 1833
Observez-les, ces pauvres gens, à peine vêtus, qui remplissent les rues, les places et les ports. Qu’un musicien ambulant, dont il y a un si grand nombre en Italie, vienne à leur jouer un air, tous l’entourent, chantent avec lui. J’étais à Côme au retour du bateau à vapeur qui, parti le matin par un grand vent, avait éprouvé, dans sa marche, un retard de trois heures. Les gens du peuple attendaient avec impatience ; de temps en temps ils faisaient retentir l’air de grands cris comme pour hâter son retour. Enfin, comme de coutume, deux coups de canon, dont les sons se prolongeaient d’écho en écho dans les cavités des montagnes, annoncèrent son arrivée. Alors ce furent des cris de joie universels, un train dont on ne peut se faire l’idée : c’était comme un ami longtemps attendu dont on salue le retour. C’est à mille petites observations de ce genre, que l’on reconnaît, et, pour ainsi dire, que l’on touche au doigt et à l’œil les mœurs d’un peuple.
(marquis de Beauffort, " Souvenirs d’Italie, par un catholique", cinquième édition, Société des Beaux-Arts, Bruxelles, 1839, p. 33)

Naples -19 avril 1834
Je ne connais pas de gens plus bruyants, plus criards, plus sales, plus paresseux.
(marquis de Beauffort, " Souvenirs d’Italie, par un catholique", cinquième édition, Société des Beaux-Arts, Bruxelles, 1839, p. 279)

Naples – 23 mars 1836
Je suis tout abasourdi par le bruit qui règne ici dans les rues, le nombre de voitures, de petites calèches à deux ou trois personnes, de toutes classes, de tous pays, les cris effroyables que font les marchands ambulants et les conducteurs de chevaux, les enfants, les ouvriers, puis tous les fabricants qui travaillent au milieu de la rue ; rien ne se fait en dedans ici, tous les états s’exercent dehors ; les cafés sont comme des espèces de remises dans lesquelles seraient rangées quelques tables, tous ceux qui passent dans la rue peuvent vous voir déjeuner ; les portefaix vous crient gare quand ils vous ont bousculés avec leurs brouettes ; puis au milieu de tout cela une quantité innombrable de marchands d’oranges, de limons, de petits gâteaux, de bonbons, de fritures, des macaronis, des galettes, qui remplissent les rues et envahissent l’espace réservé aux voitures.
[…]
Cependant, quelquefois ici, à voir le remueménage des Napolitains, à entendre leurs cris, à voir tous ces étalages sur les places et cette quantité de marchands de cannes, de curedents, de chaînes et de je ne sais quelles drogues, on se croirait dans la rue des Petits Champs ou la rue Saint-Honoré, quoiqu’à Paris cependant il ne se vende pas dans les rues une aussi grande quantité de comestibles, pâtisseries, bonbons, limonades, oranges, qu’ici. Il semble vraiment, à voir la rue de Tolède à Naples, que les habitants n’ont autre chose à faire qu’à manger et boire ; on ne peut comprendre comment tant de friandises peuvent s’écouler en si peu de temps dans tous les estomacs ; les fritures sont continuellement bouillantes, les fours chauds, les fabricants de pâtes travaillent même le dimanche, et jusqu’à onze heures du soir on entend des crieurs de mangeaille dans les rues, qui hurlent à faire trembler.
(E. Viollet le Duc, "Lettres d’Italie 1836-1837 adressées à sa famille", Léonce Laget, Paris, 1971 p. 15-16)

Rome – 1836
Quand, au temps de Noël, les pifferari descendent des montagnes, la Voie Sacrée résonne sous les souliers ferrés des bergers. A tous les coins de rue, on entend le murmure des chalumeaux [instrument de musique pastorale fait à l’aide de tuyaux de paille ou de roseau percé de trous, ou instrument à vent ancêtre de la clarinette: lequel des deux ?] et des musettes d’Evandre, qui éveillent le Christ nouveau-né.
(Edgar Quinet, "Italie", in "Œuvres complètes", Pagnerre, libraire-éditeur, Paris, 1857, p. 326)

Mons – 18 août 1837
La place de l'Hôtel de ville de Mons est particulièrement jolie. L'Hôtel de ville a une belle devanture à ogives du XVè siècle, avec un assez curieux beffroi rococo, et de la place on aperçoit en outre les deux autres clochers. Comme je devais partir à trois heures du matin, je ne me suis pas couché, pour voir cet ensemble au clair de lune. Rien de plus singulier et de plus charmant, sous un beau ciel clair et étoilé, que cette place si bien déchiquetée dans tous les sens par le goût capricieux du XVe siècle et par le génie extravagant du XVIIIe; rien de plus original que tous ces édifices chimériques vus à cette heure fantastique.
De temps en temps un carillon ravissant s'éveillait dans la grande tour [le beffroi]; ce carillon me faisait l'effet de chanter à cette ville de magots flamands je ne sais quelle chanson chinoise; puis il se taisait, et l'heure sonnait gravement. Alors, quand les dernières vibrations de l'heure avaient cessé, dans le silence qui revenait à peine, un bruit étrangement doux et mélancolique tombait du haut de la grande tour, c'était le son aérien et affaibli d'une trompe, deux soupirs seulement. Puis le repos de la ville recommençait pour une heure. Cette trompe, c'était la voix du guetteur de nuit.
Moi, j'étais là, seul éveillé avec cet homme, ma fenêtre ouverte devant moi, avec tout ce spectacle, c'est à dire tout ce rêve, dans les oreilles et dans les yeux. J'ai bien fait de ne pas dormir cette nuit là, n'est ce pas ? Jamais le sommeil ne m'aurait donné un songe plus à ma fantaisie.
(Victor Hugo, extrait d'une lettre à Adèle, 18 août 1837, in: "La Belgique selon Victor Hugo", Desoer Editions, Liège – Bruxelles, 1968, pp. 48-50.)

Ferrare - 1838
De grandes rues pleines d'herbe, de soleil et de solitude ; un vieux château tout étrange ; des souvenirs politiques, littéraires et dramatiques à défrayer une existence d'érudit ; d'autres souvenirs plus doux et plus utiles, des souvenirs pieux qui remplissent une belle et magnifique église, et qui fourniraient de modèle à la charité d'un saint ; une bibliothèque abondante en manuscrits lisibles, chose qui n'et pas d'un médiocre prix ; un bruit continuel de musique et de chansons : voilà Ferrare ; et en voilà aussi, je pense, bien assez pour en rendre le séjour charmant.
[…] Lorsqu'on se promène dans les rues de Ferrare, on a bientôt franchi Ie petit cercle où se remue la population (population de vingt quatre aille âmes cependant ; mais la ville était faite pour en contenir cent mille), et l'on se trouve alors dans de vastes quartiers tellement délaissés, que nous y rencontrâmes en tout, dans l'espace de plus d'une heure, deux personnes et un chien. Les pas du curieux retentissent sur le pavé avec ce grand bruit qui nous étonne malgré nous, quand par hasard nous nous trouvons seuls à une heure très avancée de la nuit dans ces rues de Paris où mille bruits assoupissent tous les bruits. Ça et là la cime d'un arbre en fleur vous donne un coup d'encensoir par dessus les murs d'un long jardin ; plus loin un petit carillon de guitare qui accompagnait en sautillant votre rêverie s'arrête tout à coup, une jalousie se soulève, deux yeux noirs et curieux vous regardant passer.
(Louis Veuillot: "Rome et Lorette", in: Yves Hersant, "Italies – Anthologie des voyageurs français aux XVIIIè et XIXè siècles", Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1988, p. 373.)

Madrid - 5 mai 1838
L’heure du dîner et la sieste font évacuer la place Puerta del Sol, qui reste déserte comme un cloître jusqu’au soir. Alors l’activité reprend; le fandango s’établit à l’entrée de la rue de la Montera, et moyennant un sou, danse qui veut avec la manola. Un peu plus tard un essaim de chandelles vagabondes éclairent le carrefour, et les crieurs de recommencer de nouveau : ″Oh ! l’excellente eau glacée ! Qui en veut des bonnes pâtes ? Papier à cigarettes et amadou à l’épreuve ! Nouveaux modèles de lettres amoureuses à l’usage des amants, les noms sont en blanc ; tout le monde, demoiselle ou garçon, peut y mettre le sien !″ Ajoutez à ce bruyant pêle-mêle, la foule des promeneurs qui reviennent du Prado.
(Charles Dembowski, Deux Ans en Espagne et au Portugal″, cité dans in: "Bartolomé et Lucile Bennassar, "Le voyage en Espagne Anthologie des voyageurs français et francophones du XVIè au XIXè siècle", Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1998, p. 351)

Turin – juin 1838
Les gouvernés veulent le bruit, l’éclat, le mouvement ; on leur en donne tant qu’ils en veulent, et à très peu de frais. […] le divertissement le plus cher à ces hommes heureux, c’est de passer en revue leur innocente armée. Cette armée est un si bon prétexte pour faire à toute heure du bruit dans la ville ! Dès le matin, le tambour se réveille en battant de toutes ses baguettes, comme si la ville allait être prise d’assaut. Plus tard, les formidables musiques militaires se livrent à des marches et à des contre-marches sans nombre sur la place du Château, qui est alors une véritable place d’armes. A entendre le terrible bourdonnement des ophicléides, des trompettes, des clairons, des fifres, des grosses caisses et des tambours, vous diriez tout simplement la musique qui précède la grande armée ; ce n’est rien moins que la musique de la garde montante qui va donner une sérénade à la musique de la garde descendante ; une vingtaine de soldats suivent pour la forme des deux cents musiciens ; la forme emporte le fond cette fois, mais nul ne s’en plaint, car cette musique militaire est excellente. Une heure plus tard, le tambour bat la prière ; cette prière dure une minute, mais c’est un bon prétexte pour battre le tambour. Une heure plus tard, le tambour bat la retraite. Quoi ! la retraite en plein midi ? Oui, la retraite en plein midi ! C’est l’usage ; il est vrai que chacun reste à son poste quand on bat cette retraite, mais c’est toujours un exercice pour le tambour. Tout ce bruit guerrier donne à la ville un mouvement inoccupé qui a bien son charme.
(Jules Janin, "Voyage en Italie", société typographique belge, Bruxelles, 1839, pp. 47-48.)

Gènes – juin 1838
Ce sont là deux villes dans une seule enceinte, la vie et la mort côte à côte. Au pied de la ville, au bord de la mer, dans le port, vous retrouvez l’activité, le mouvement, le bruit, la foule, en un mot la vie telle que se comporte la vie des nations italiennes, ruines habitées, occupées, commerçantes et intelligentes ; mais montez plus haut, parcourez les rues dont la dalle large et sonore retentit sous vos pas, pénétrez sous ces portiques ouverts à tous les vents, entrez dans ces palais splendides que le silence habite, jetez les yeux sur les tentures de ces salons dépeuplés […] écoutez tout ce silence, parcourez cette solitude.
(Jules Janin, "Voyage en Italie", société typographique belge, Bruxelles, 1839, p. 54.)

Cologne - 11 août 1838
Le soir, comme les étoiles s’allumaient, je me suis promené de l’autre côté du fleuve, sur la grève opposée à Cologne. J’avais devant moi toute la ville dont les pignons sans nombre et les clochers noirs se découpaient avec tous leurs détails sur le ciel blafard du couchant.
[…] Je n’entendais dans cette ombre que le frémissement caressant et discret du flot à mes pieds, les pas sourds d’un cheval sur les planches du pont de bateaux, et au loin, dans une forge que j’entrevoyais, la sonnerie éclatante d’un marteau sur une enclume. Aucun autre bruit de la ville ne traversait le Rhin.
(Victor Hugo, "Le Rhin – lettres à un ami", Lettre dixième, ed. Nelson, Paris, s.d ., pp. 161-162)

Bacharach - août 1838
A Bacharach, minuit venu, on se couche, on ferme les yeux, on laisse tomber les idées qu’on a porté toute la journée. […] Tout à coup un bruit perce l’ombre et parvient jusqu’à vous, un bruit singulier, inexprimable, horrible, une espèce de grondement fauve, à la fois menaçant et plaintif, qui se mêle au vent de la nuit et qui semble venir de ce haut cimetière situé au-dessus de la ville où vous avez vu le matin même les onze gargouilles en pierre de l’église écroulée de Saint Werner ouvrir la gueule comme si elles se préparaient à hurler. Vous vous réveillez en sursaut, vous vous dressez sur votre séant, vous écoutez. - Qu’est cela ? - C’est le crieur de nuit qui souffle dans sa trompe et qui avertit la ville que tout est bien et qu’elle peut dormir tranquille. Soit ; mais je ne crois pas qu’il soit possible de rassurer les gens d’une manière plus effrayante.
(Victor Hugo, "Le Rhin – lettres à un ami", Lettre XIX, ed. Nelson, Paris, s. d., pp. 248-249)

Mayence - septembre 1838
Du reste, une vie profonde, qui sort du Rhin, anime cette ville. Elle n’est pas moins hérissée de mâts, pas moins encombrée de ballots, pas moins pleine de rumeur que Cologne. On marche, on parle, on pousse, on traîne, on arrive, on part, on vend, on achète, on crie, on chante, on vit enfin dans tous les quartiers, dans toutes les maisons, dans toutes les rues. La nuit, cet immense bourdonnement se tait ; et l’on entend plus dans Mayence que le murmure du Rhin et le bruit éternel des dix-sept moulins à eau amarrés aux piles englouties du pont de Charlemagne.
(Victor Hugo, "Le Rhin – lettres à un ami", Lettre XXIII, ed. Nelson, Paris, s. d., p. 414)

Zurich - septembre 1839
La nuit était tout à fait tombée, je m’étais platement endormi dans la voiture, quand un bruit de plancher sous le piétinement des chevaux m’a réveillé. J’ai ouvert les yeux. J’étais dans une espèce de caverne en charpente de l’aspect le plus singulier. Au-dessus de moi, de grosses poutres courbées en poutres en cintres surbaissés et arc-boutées d’une manière inextricable portaient une voûte de ténèbres ; à gauche et à droite, de basses arcades faites de solives trapues me laissaient entrevoir deux galeries obscures et étroites, percées ça et là de trous carrés par lesquels m’arrivaient la brise de la nuit et le bruit d’une rivière. La voiture roulait lentement sur un plancher des fentes duquel sortait une rumeur assourdissante. Une torche éloignée, qui tremblait au vent, jetait des clartés mêlées d’ombres sur ces massives arches de bois. J’étais dans le pont couvert de Zurich. Des patrouilles bivouaquaient alentour. Rien ne peut donner une idée de ce pont, vu ainsi et à cette heure. Figurez-vous la forêt d’une cathédrale posée en travers d’un fleuve et s’ébranlant sous les roues d’une diligence.
(pp. 176-177)

Je suis à Zurich. Quatre heures du matin viennent de sonner au beffroi de la ville, avec accompagnement de trompettes. J’ai cru entendre la diane, j’ai ouvert ma fenêtre. Il fait nuit noire et personne ne dort. La ville de Zurich bourdonne comme une ruche irritée. Les ponts de bois tremblent sous les pas mesurés des bataillons qui passent confusément dans l’ombre. On entend le tambour dans les collines. Des Marseillaises alpestres se chantent devant les tavernes allumées au coin des rues. Des bisets zurichois font l’exercice dans une petite place voisine de l’hôtel de l’Epée, que j’habite, et j’entends les commandements en français : Portez arme ! Arme bras ! De la chambre à côté de la mienne une jeune fille leur répond par un chant tendre, héroïque et monotone, dont l’air m’explique les paroles. […] On entend des éclats de rire, des cris, des bruits de portes qui se ferment, des cliquetis bizarres. Des ombres passent et repassent partout. Une joyeuse rumeur de guerre tient ce petit peuple éveillé. Cependant, sous le reflet des étoiles, le lac vient majestueusement murmurer jusqu’auprès de ma fenêtre toutes ces paroles de tranquillité, d’indulgence et de paix que la nature dit à l’homme.
(Victor Hugo, "Le Rhin – lettres à un ami", Lettre XXXIV, vol. II, ed. Nelson, Paris, s. d., pp.163-164)

France – 1844
[Dickens traverse avec sa famille la France en route vers l’Italie dans une patache de voyage (in an English travelling-carriage)] Vous avez cheminé, assez abruti, comme c’est généralement la cas au cours de la dernière étape du jour, et les quatre-vingt-seize grelots des chevaux (vingt-quatre cha-cun !) tintent à vos oreilles, dans un demi-sommeil, depuis une demi-heure environ ; et c’est tout à fait un petit trot maintenant, un train-train monotone et lassant ; et vous vous êtes mis à penser très fort au repas que vous aurez à la prochaine étape ; et voici que, tout au bout de la longue avenue d’arbres que vous suivez, apparaît le premier signe d’une agglomération, sous la forme de quelques maison-nettes éparses : la voiture commence à faire un bruit de ferraille et à cahoter sur une chaussée horri-blement inégale. Et, comme si tout notre équipage était une énorme fusée et que la simple vue d’une cheminée fumant sur le toit d’une chaumière l’avait mise à feu, il se met à claquer et crépiter comme s’il y avait dedans le diable en personne. Crac, crac, crac, crac. Crac-crac-crac. Cric-crac. Cric-crac. Hé là! Vite! Voleur! Brigand! Hue, hue, hue! En r-r-r-r-route! Fouet, roues, cocher, pierres, mendiants, enfants, crac, crac, crac; hé là ! holà ! charité pour l’amour de Dieu! cric-crac-cric-crac; cric, cric, cric; un choc, un cahot, crac, un cahot cric-crac; on prend un virage, on monte la rue étroite, on descend la côte pavée de l’autre côté; un caniveau, boum, boum; un cahot, une secousse, cric, cric, cric; crac, crac, crac; on fonce vers les devantures de boutiques sur le côté gauche de la rue, pour ensuite dé-crire une large courbe et entrer par la porte cochère en bois à droite ; boum, boum, boum; clac, clac, clac; cric-crac-crac; et nous voici dans la cour de l’Hôtel de l’Ecu d’Or; fourbus, morts, fumants, épui-sés, n’en pouvant plus, mais faisant de temps à autre un faux départ inopiné, qui reste sans suite… comme une fusée d’artifice jusqu’au bout !
(Charles Dickens, "images d’Italie", Editions A. Barthélemy, 84132 Le Pontet, 1990, pp. 21-22. [trad. Henriette Bordenave])

Gènes - 1844
Surtout les jours de fête, les cloches des églises sonnent sans arrêt; non en carillon, ou selon aucune forme de mélodie connue, mais avec un horrible ding, ding, dong, irrégulier, par à-coups: avec un ar-rêt soudain tous les quinze coups environ, à vous rendre fou. Cette action d'éclat est généralement accomplie par un jeune garçon monté dans le clocher, qui saisit le battant ou une petite corde qui y est attachée, et essaie de carillonner plus fort que tous les autres garçons employés à la même tâche. Ce bruit est censé être particulièrement désagréable aux Esprits Malins; mais si l'on jette un regard vers le haut des clochers et que l'on voit (et que l'on entend !) les jeunes chrétiens ainsi occupés, on pourrait très naturellement les prendre eux-mêmes pour l'Ennemi. (Charles Dickens, "images d’Italie", Editions A. Barthélemy, 84132 Le Pontet, 1990, p. 65. [trad. Henriette Bordenave])

Leur jeu favori est, de beaucoup, le jeu national de Mora qu'ils pratiquent avec une ardeur surpre-nante. […] les initiés, dont il y a toujours un groupe passionné qui regarde, s'en repaissent avec l'avidité la plus intense; et comme ils sont toujours prêts à prendre parti pour un côté ou pour l'autre en cas de discussion, et comme ils sont fréquemment divisés dans leur partialité, c'est souvent une affaire très bruyante. Ce n'est en aucun cas le jeu le plus silencieux du monde, car les chiffres sont toujours lancés à voix haute et aiguë, et ils se succèdent aussi rapidement qu'il est possible de les compter. Par un soir de jour de congé, qu'on se tienne à une fenêtre, ou qu'on se promène dans un jardin, ou qu'on passe dans les rues, ou bien qu'on flâne dans n'importe quel coin tranquille de la ville, on ne manque pas d'entendre ce jeu en cours. (Charles Dickens, "images d’Italie", Editions A. Barthélemy, 84132 Le Pontet, 1990, p. 53. [trad. Henriette Bordenave])

[Dans la ville] de longues files de mules patientes qui, toute la journée, passent dans ces rues confi-nées en faisant tinter leurs grelots.
(Charles Dickens, "images d’Italie", Editions A. Barthélemy, 84132 Le Pontet, 1990, p. 57. [trad. Henriette Bordenave])

Ferrare – 1844
Je me demande pourquoi le chaudronnier le plus important dans toute ville italienne, habite toujours à côté de l'hôtel ou en face, donnant ainsi au voyageur l'impression que le battement des coups de marteau est celui de son propre cœur, palpitant avec une énergie mortelle!
(Charles Dickens, "images d’Italie", Editions A. Barthélemy, 84132 Le Pontet, 1990, p. 103. [trad. Henriette Bordenave])

Vittoria - Espagne – 5 octobre 1846
De temps en temps aussi passait près de nous une charrette qui, chaque fois qu'elle passait, faisait mon admiration en ce qu'elle me rappelait ces chars mérovingiens que notre savant Augustin a essayé de reconstruire, comme Cuvier ses mastodontes et ses ichtyosaurus. Ce véhicule, attelé d'une couple de boeufs, était toujours annoncé par un bruit étrange, enroué, féroce, et, la première fois que je l'entendis, aussi inexplicable pour moi que ce cri qu'entendent au bord du Saint Laurent les timides héroïnes de Cooper, et qu'on reconnaît enfin pour être celui d'un cheval attaqué par les loups. Ce bruit était causé sans doute par la sécheresse de l'essieu avec lequel ou autour duquel, je n'en sais rien, tournent des roues pleines, avant la forme d'un immense champignon. Ce bruit, qui ne cesse jamais, qui doit s'entendre d'une demi lieue, quand aucun autre bruit ne le contrarie, m'a paru destiné, combiné avec la cigarette qui flamboie toujours, à distraire le propriétaire du char, qui possède ainsi une boîte à musique, laquelle joue incessamment le même air, c'est vrai, mais a sur les tabatières et les serinettes l'avantage de ne jamais se déranger. Peut être encore ce bruit serait il destiné à prévenir longtemps à l'avance les posaderos de l'arrivée d'une pratique. En ce cas, comme on le voit, la mécanique en question joindrait l'utile à l'agréable, l'utile dulci et aurait des chances pour le grand prix de l'Académie.

Mais un autre bruit que je vous dénoncerai encore, madame, afin que vous ne le preniez pas pour celui d'un corps qu'on égorge, ou d'une âme qu'on châtie, un bruit qui n'a pas de limite dans l'espace, pas d'équivalent dans les souvenirs, est celui des norias.
Vous chercherez dans le dictionnaire pour savoir ce qu'est une noria, madame, et votre dictionnaire, pour ne pas gâter le métier innocent que font les dictionnaires, vous répondra machine, et par conséquent ne vous apprendra absolument rien.
Une noria est la roue d'un moulin à eau, roue gigantesque, roue près de laquelle la roue qui reste à la machine de Marly n'est qu'une roue de montre, et qui, pour garder son rang dans la hiérarchie mécanique, fait quatre fois autant de bruit d'elle seule qu'en font les deux roues du fameux char dont je viens d'avoir l'honneur de vous entretenir.
Nous arrivâmes ainsi, regardant de tous nos yeux, écoutant de toutes nos oreilles, à Vittoria.
(Alexandre Dumas, "Impressions de voyage – de Paris à Cadix", Calmann Lévy, Paris, 1897, pp. 48-49.)

Italie - 1849
RENAN Ernest, Voyage en Italie, Carnet de voyage
Voyage effectué en 1849, 4 ans après la crise religieuse qui bouleverse sa vie. Il est chargé d’une mission en Italie et découvre Rome, Pise, Sienne Naples … Le religieux devenu agnostique par la pratique de la philologie et la lecture des philosophes allemands est confronté à une religiosité populaire qui l’émeut, introduit la nostalgie des bonheurs et certitudes de l’enfance et de la jeunesse et, finalement génère le doute sur ses choix et la pertinence de son combat pour la rationalité.

Rome
Pour comprendre le profond bien-être qui fait le fond de la vie du peuple italien, il faut voir le Forum etc. le dimanche. Tranquilles cloches répondent aux cloches, la villa Farnesina, entre des verres et des joyeux propos, chants des Sacconi, rien de bruyant, soleil d’or. ( p. 18-19)
On s’amuse entre deux exercices de piété. Les cloches tintent. ( p. 19)
Absence totale de police. Les enfants sonnent les cloches, grimpent contre les fenêtres, etc. ( p. 23)
Quand les trois cents églises de Rome carillonnent à la fois, il n’y a pas de philosophie qui tienne.. ( p. 25)
Saint André della Valle : Quelle différence ! chant ecclésiastique de Saint Ambroise . ( p. 28)
Chants en latin fortement accentué par les femmes du peuple se faisant du latin à leur guise … Je ne me sentis plus seul ; il ne faisait plus froid. On chanta . ( p. 31)
Au moment, un joyeux carillon me réveilla. Les cloches de la ville sonnaient doucement et se répondaient. ( p. 32)
S’abstraire du bruit des nouvelles oraisons, vivre avec des saints (p.33)
Minuit. Je travaille. J’entends les cloches de toutes parts réveiller les religieux pour chanter Esprit ! Esprit ! ( p.39)
(De Fourvières) Des femmes priant et chantant dans une église. (p . 43)`
Sonneurs en plein vent s’arrêtent devant chaque Madone, et lui chantant un air ( p.45)
… que ces douces cloches, dont le ramage ne cesse ni jour ni nuit, sont à la veille de se fondre en baïoques. ( p. 49)
(Ernest Renan, "Voyage en Italie", Paris, Arlea, 1999)

Venise – vers 1850
[Théophile Gautier s’installe Campo-San-Mose] Le clocher n’est pas un sénicuriste : il babille et carillonne toute la journée. Le matin, c’est l’angélus, puis la messe, puis les vêpres, puis le salut du soir ; à peine si ses langues de fer se taisent quelques instants. Rien ne fatigue ses poumons de bronze. (p. 147)
[…]
Il est matin encore; le coup de canon de la frégate qui ouvre le port vient de faire crever sa fu- mée blanche sur la lagune; la salutation angélique vibre aux mille clochers de la ville. (p. 149)
[…]
L’on parle beaucoup du silence de Venise ; mais ce n’est pas près d’un traghet qu’il faut se loger pour trouver cette assertion vraie. C’étaient, sous notre fenêtre, des chuchotements, des rires, des éclats de voix, des chants, un remue-ménage perpétuel qui ne s’arrêtaient qu’à deux heures du matin. Les gondoliers, qui dorment le jour en attendant la pratique, sont la nuit éveillés comme des chats, et tiennent leurs conciliabules qui ne sont guère moins bruyants, sous l’arche d quelque pont ou sur les marches de quelque débarcadère. Nous avions le débarcadère et le pont.
(Théophile Gautier, "Voyage en Italie", G. Charpentier, éditeur, Paris, 1879, pp. 147, 149, 183-184.)

Naples - 1854
De nombreux colporteurs ambulants parcourent les rues, leurs marchandises sur la tête; et leurs cris font retentir l'air. Ceci, ajouté aux cliquetis des cloches portées par les troupeaux de chèvres continuellement conduits dans la ville pour être traites, ou allant au pâturage, rendent les Naples pleine de sons. Les musiciens de rue aussi, avec cor, violon, guitare, etc., dansent en jouant; aussi Punch et Judy, qui ont été créés dans cette région, grinçant dans les rues, avec des multitudes de charrettes, calèches, etc., font de Naples une ville bruyante ...
(Samuel Young, "A Wall-street bear in Europe", in: Peter Furtado, "Great CitiesThrough Travellers'Eyes", Thames & Hudson, London, 2019, p. 221.)

Madrid – 1855 Puerta del Sol
Si quelque crise ministérielle s’agite, si quelque pronunciamiento a éclaté dans les provinces, c’est à la porte du Soleil que les premières rumeurs circuleront et iront en se grossissant. Et cependant, chose étrange ! dans cette foule qui va et vient, qui se succède sans cesse, il règne toujours un certain silence, ou du moins c’est un bruit sans tumulte, un mouvement pour ainsi dire sans agitation.
[…]
La porte du Soleil, si fréquentée d’ailleurs, si pleine de ce silence qui a un caractère oriental ; au milieu des promeneurs qui s’enveloppent de leur manteau et l’entrouvrent seulement pour laisser échapper quelque flocon de fumée qui va se perdre dans un rayon de soleil, on n’entend que la voix de l’aguador qui renouvelle à chaque instant son cri de agua ! agua ! et celle de la marchande d’oranges qui épuise consciencieusement ses poumons à vanter ses fruits d’or.
(Charles Mazade, ″L’Espagne moderne″, cité dans in: "Bartolomé et Lucile Bennassar, "Le voyage en Espagne Anthologie des voyageurs français et francophones du XVIè au XIXè siècle", Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1998, p. 358)

Bologne, 1855
Partout dans la ville des mendiants; non des mendiants d'aventure, errants et sans position, mais des mendiants à poste fixe, immuables comme l'éternité, sur des chaises boiteuses [...] des aveugles sans âge, qui remuent de minute en minute, patients comme le mouvement d'une pendule, un cornet de fer-blanc, qui sonne et puis se tait.
(Edmond et Jules de Goncourt, "Les chemins de l'Italie", Desjonquières, Paris, 1996, p. 134.)

Naples, avril 1856
Le vacher se trouve à sept heures devant toutes les portes avec sa vache et remplit le verre de la servante, trayant sa vache devant la porte.
Le chevrier qui rassemble ses chèvres dans les rues aux cris de "chia chia".

Orloge (de l'italien orlogio: horloge) de Naples.
A l'aube, le cri des vendeurs d'eau-de-vie.
Les caldallesse (châtaignes bouillies) et les succiole, et le vendeur de pains avec raisins à 6 heures.
Le lait, les vaches, les chèvres, 7 heures.
La viande, les herbages, les fruits à 8 heures.
Les vendeuses d'oeufs à 9 heures.
La rauque voix du marinier qui de Portici vous apporte le beurre de Sorrente à 10 heures.
A 11, le vendeur de ricotte, fromages de Castellammare.
A midi, à toute geule, les marchants criant le restant de leurs marchandises.
(Edmond et Jules de Goncourt, "Les chemins de l'Italie", Desjonquières, Paris, 1996, p. 302.)

Naples - 1856
Du haut de ce rocher (le fort Saint-Elme et la chartreuse de Saint-Matin) , il n'y a presque pas de carrefour ni de rue de Naples où le regard ne pénètre. A vos pieds s'agite la population la plus turbulente de la terre. Le matin surtout, l'activité est si grande qu'on croirait assister à la récréation d'un immense collège, tant on voit de petits bonshommes courir et se démener comme s'ils jouaient aux barres. Les carrosses luttent de vitesse; les charrettes elles-mêmes vont au galop. Un bon tiers des habitants crie de tous ses poumons, un autre tiers chante, et le reste parle, mais non à voix basse. Aux marchés du Carmine et de Santa-Brigida, vous croiriez qu'une bataille est toujours sur le point de s'engager. Que peuvent faire ces énergumènes courant d'un groupe à l'autre? Evidemment on se querelle là-bas; on va se prendre à la gorge et tirer les couteaux. Ne vous effrayez pas. Il s'agit de transactions d'une haute importance en matière de provisions de bouche: une salade d'un demi-sou n'est pas une petite affaire. Le vendeur hurle sur le pont pour attirer le chaland; l'acheteur vocifère pour sauver la moitié de sa pièce de cuivre. Ce grand bruit n'a pas d'autre cause.
(Paul de Musset, "Voyage pittoresque en Italie, partie méridionale, et en Sicile", Morizot, Paris, 1856, pp. 350-351)

Venise, 1856
[sur une gondole] nous nous engageons dans un labyrinthe de canaux, ou plutôt de rues d'eau étroites et sombres, dont le silence n'est interrompu que par le bruit des rames et les signaux des barcarols, monosyllabes qu'ils échangent entre eux pour s'avertir à l'angle des rues et à l'approche des ponts, afin d'éviter les rencontres auxquels ils sont continuellement exposés. Grâce à la prestesse de leurs évolutions, les accidents sont rares. (pp. 41-42)

[place St Marc, le soir] la place retentit de bruits divers et confus à droite, un violon pathétique pleure une élégie sentimentale, pendant qu'à gauche, une sémillante guitare semble, par ses accords joyeux, vous inviter à un boléro échevelé plus loin, des chanteurs ambulants s'efforcent, avec un reste de voix
enrouée, d'interpréter les chefs-d'œuvre des maîtres italiens. Sur d'autres points, percent les sons éclatants du trombone, de l'ophicléide, du cornet à pistons et tutti quanti. Cette simultanéité musicale produit comme on pense une cacophonie des plus exécrables. (p. 50)

Penché sur l'appui de notre fenêtre, nous nous absorbons dans une muette contemplation.
Au-dessus de nous, les étoiles scintillent comme des paillettes d'or semées sur le firmament; à nos pieds, glissent rapidement de mystérieuses gondoles: on dirait une procession de noirs fantômes. Une petite lampe allumée devant la niche qui abrite une madone à l'angle de la rue, reflète sa lumière tremblante sur le canal. Pendant quelques instants le silence n'est interrompu que par le sourd clapotement de l'eau qu'agitent les rames. Mais ce calme est de peu de durée, bientôt arrivent à nos oreilles des éclats de voix renvoyés par les canaux sonores; des chants harmonieux se font entendre au lieu des stances du Tasse, tradition à peu près disparue aujourd'hui de Venise, nous distinguons des choeurs et des cavatines de Rossini, de Bellini et de Verdi, avec des modifications dans le rythme et la mélodie que n'approuveraient peut-être pas toujours les illustres maîtres. Mais le goût musical, que le peuple vénitien porte jusqu'à la passion son instinct inné, que sert admirablement un organe en général plein de souplesse et de fraîcheur, les effets acoustiques dus à la disposition des canaux, toutes ces circonstances prêtent un charme infini à l'exécution de ces dilettanti, étrangers aux premières règles de l'art.
Si vous joignez à ces concerts nocturnes les cris bruyants de jeunes tritons qui prennent dans l'eau leurs joyeux ébats, vous verrez que, malgré l'absence de voitures et de chevaux, il est peut-être aussi difficile, de dormir tranquillement à Venise qu'à Paris en pleine rue S.-Denis. (pp. 50-51)
(Emile Bourquelot, "Souvenirs d’un Provinois dans le nord de l’Italie : années 1856-1858", Lebeau, Provins, 1859, pp. 41-42 ; 50-51)

Londres - 1859
Et puis, si vous êtes fatigué de la vue d'un peuple qui achète et qui vend, du bruit éternel des roues des machines, des chevaux, du roulement des locomotives et des wagons, qui, même dans les rues de Londres passent au dessus de vos têtes en sifflant, faites un pas, et, au milieu de cette solitude aride de la foule, vous trouverez l'oasis. Un soir d'été, j'étais dans Hyde Park: autour de moi, tout faisait silence, à l'exception des oiseaux; des vaches paissaient dans l'herbe, de vieux et grands arbres secouaient au vent leur chevelure négligée, des enfants jouaient, nageaient, barbotaient dans une pièce d'eau, la Serpentine. Au milieu de cet horizon immense, dont rien ne bornait la vue que des lignes verdure et de ciel bleu, je me serais cru à cent lieues d'une capitale, pourtant j'étais dans Londres.
(Alphonse Esquiros, "L'Angleterre et la vie anglaise", 1859, in: Jacques Gury, "Le voyage outre-Manche – anthologie de voyageurs français de Voltaire à Mac Orlan – du XVIIIè au XXè siècle", Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1999, p. 121.) (29)

Vienne – 24 septembre 1860
Une ville de bruit et de mouvement, où les voitures volent, où les pavés sonnent.
(Edmond et Jules de Goncourt, "Journal" Mémoires de la vie littéraire 1851-1865, Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1989, p. 618.)

Gerone, 1862
C'est dans une des sombres rues de Gerona que, vers l'heure de minuit, nous entendîmes pour la première fois la voix mélancolique des serenos. Ces gardes de nuit, avec leur manteau couleur de muraille, leur lanterne et leur pique, reportent en plein Moyen Age; ils ne se bornent pas à veiller sur les bourgeois endormis dans leurs demeures; ils sont encore chargés de leur annoncer, sur un mode particulier, l'heure ainsi que le temps qu'il fait au dehors, et comme les nuits d'Espagne sont d'ordinaires sereines, on leur donne naturellement le nom de serenos. On ne peut guère les comparer qu'aux nachtwachterer d'Amsterdam, qui parcourent la ville armés d'un sabre et d'un bâton, et vont criant les heures en s'accompagnant d'une crécelle; les serenos sont dépourvus de cet instrument, mais en revanche leur mélodie, qui appartient à la tonalité du plain-chant, est pleine d'originalité; quelquefois ils débutent par une phrase à la louange de Dieu ou de la sainte Vierge, comme Alabado sea Dios ! (Dieu soit loué !) ou: Ave Maria purisima ! Cette dernière formule est plus spécialement usitée en Andalousie, où la Mère de Dieu est l'objet d'un culte tout particulier, sous le nom de santisima, la très sainte.
(Charles Davillier, Gustave Doré: "Voyage en Espagne", Stock +, Paris, 1980, p. 11.)

Lyon – 1863
J'ai visité la Croix-Rousse. Je n'ai jamais vu dans aucune ville de colline si escarpée. Il faut faire des zigzags comme sur le versant d'une montagne; pour descendre la rue de la Grande-Côte, on est obligé de marcher à petits pas le corps en arrière.
Hautes et vastes fabriques monotones, mornes comme des casernes. Le bruit des métiers y retentit incessamment.
(Hippolyte Taine, "Carnets de voyage, notes sur la province 1863-65", Librairie Hachette et Cie, Paris, 1913, p. 123.)

Lyon - quartier de La Croix-Rousse - 1864
[La population y est presque exclusivement composée d'ouvrier de la soie.] Si le peuple lyonnais a une physionomie spéciale, surtout à la Croix Rousse, il faut l'observer. En arrivant dans ce quartier, on est d'abord frappé du peu d'animation des rues, mais si on approche en poursuivant ses observations, on ne tarde pas à s'apercevoir que le mouvement le plus actif règne dans les maisons, où l'on entend le bruit continuel des métiers qui fonctionnent activement et d'ouvriers qui chantent; ce bruit, (le bistanclaque pan), c'est l'indice certain de la vie et du bonheur de la population de la Croix Rousse. (selon le Littré de la Grande Côte, le bistanclaque-pan est le bruit que fait le métier de façonnier. Onomato-pée. Pan représente le coup de battant.)
(A. Péladan, "Guide de l'amateur et de l’étran-ger à Lyon et dans les environs", Lyon, 1864, Bibliothèque municipale de Lyon, cote 314-019, in: Olivier Balaÿ, "L'espace sonore de la ville au XIXè siècle", A la Croisée, coll. Ambiances, Ambiances, Bernin-France, 2003, p. 58-59.)

Bruxelles - 1864
Bruxelles, beaucoup plus bruyant que Paris; le pourquoi. Le pavé, irrégulier; la fragilité et la sonorité des maisons; l'étroitesse des rues; l'accent sauvage et immodéré du peuple; la maladresse universelle; le sifflement national (ce que c'est), et les aboiements des chiens.
(Charles Baudelaire, "Pauvre Belgique", Ed. Louis Connard, Paris, 1953, p. 13.)

Florence – 8 avril 1864
Une ville complète par elle-même, ayant ses arts et ses bâtiments, animée et point trop peuplée, capitale et point trop grande, belle et gaie, voilà la première idée sur Florence.
Les pieds avancent sans qu'on y songe sur les grandes dalles dont toutes les rues sont pavées. Du palais Strozzi à la place Santa Trinità, la foule bourdonne, incessamment renouvelée.
(Hippolyte Taine "Voyage en Italie – D'Assise à Florence", Editions Complexe, Bruxelles, 1990, p. 105.)

Naples – 18 mai 1864
Tous ceux qui conduisent un animal quelconque dans la province de Naples, poussent à chaque instant un cri singulier, auquel je ne m’habituerai jamais, tellement il me donne sur les nerfs. C’est comme une sorte de râle en hoquet ou de cri d’angoisse tiré du creux de la poitrine. Il a quelque rapport avec le pénible Han ! du bûcheron, et ce n’est que par Ha ! ou Han ! qu’on peut essayer de l’écrire, bien qu’en réalité il ne soit ni l’un ni l’autre.
(H. Sébastien Le Hon, "Correspondance d’Italie", in :
Revue Trimestrielle, Bruxelles, juil.-oct. 1864, p. 159)

Marseille – 1867
[Au Grand Casino] Il y avait à peu près de cinq cents personnes dans cet endroit éblouissant, […] buvaient du vin et entretenaient un vacarme de conversations étourdissant. […] Nous nous francisons rapidement et avec aisance. Nous nous adaptons aux halls et aux chambres dallés, si différents de ceux de chez nous à ces sols sans tapis qui résonnent sous nos talons si violemment que toute rêverie sentimentale est condamnée.
(Mark Twain, "le voyage des innocents", Petite Bibliothèque Payot / Voyageurs 259, Paris, 1995, pp. 80 et 90. [trad. Franchita Gonzalez Battle]

Issoire – 1867
Une chose m’a frappé, c’est le profond silence qui règne dans la ville. On n’entend absolument rien, pas un bruit de voiture, pas un aboiement de chien, pas un bruit d’eau courante, aucun frémissement de quoi que ce soit de vivant. C’est une sensation bizarre pour moi qui a l’habitude du tumulte parisien. […] . Cependant, cette absence de sonorité occupe malgré soi, on écoute le silence.
(Théophile Gautier, cité in : G. Thuillier, ″Pour une histoire du quotidien au XIXè siècle en Nivernais, Mouton, Paris-La Haye, 1977, p. 37)

Naples – 31 mars 1867
Le véritable cachet de Naples c’est le mouvement, la vie, les cris continuels, les gestes passionnés qui animent ses rues, ses places et ses quais. Partout on voit la foule, l’encombrement de la population; la ville semble inondée d’habitants. Aucune rue de Paris ne peut vous donner une idée de l’incessante circulation dans la rue de Tolède, à Naples. Le tapage est en proportion du mouvement; il commence dès le point de jour et se continue une partie de la nuit. C’est assourdissant, mais on s’y fait bientôt, et l’on s’intéresse vite à cette foule qui papillotte aux yeux et tourbillonne comme une fourmilière. Gesticulateur, ergoteur, criard, gai et bouffon, le Napolitain fait un parfait contraste avec la dignité grave et mélancolique du Romain. Tous les deux vivent en plain air, sur la place publique.
[…] Je suis logé à l’hôtel de Genève, un noble hôtel, nobile locanda, cela est écrit tout au long sur son et enseigne, au centre de la ville des affaires, près d’une route toute bordée de chaudronniers. Des l’aurore je suis réveillé par le bruit des marteaux sur l’enclume, et cet infernal sabbat ne s’arrête pas une minute jusqu’au soir. Quand je sors, je vois partout les voies publiques encombrées de marchands qui crient et vantent leur marchandise, ou des gens qui travaillent sur le seuil de leur porte avec autant d’ardeur que dans le Nord.
(Lucien Du Bois, "Lettres sur l’Italie et ses musées", Adrien Campan édit., Bruxelles, 1874, p. 16 et 18)

Gènes – 1869
Le golfe de Gênes, moins vaste que celui de Naples, est plus gai et plus animé : de nombreux navires de commerce, des milliers de barques peintes de toutes les couleurs se mirent dans ses eaux. Le quai est étroit et encombré de marchandises de toutes sortes : le va-et-vient des vigoureux portefaix, le bruit de leurs lourds chariots lui donnent un aspect étrange et fiévreux.
Quand on pénètre dans l’intérieur de Gênes, on est tout étonné du changement qui s’opère : ce bruit, ce mouvement ont disparu.
(l’abbé Rolland, ″Promenades en Italie″, Alfred Mame et fils, éditeurs, Tours, 1876, p. 19)

Pise – 1869
Le baptistère possède un écho d’une sonorité extraordinaire. Le moindre bruit sur le pavé, une parole prononcée à voix basse contre la muraille, ont un retentissement qui dure aussi longtemps que le tintement d’une cloche.
(l’abbé Rolland, ″Promenades en Italie″, Alfred Mame et fils, éditeurs, Tours, 1876, p. 29)

Rome – 6 janvier 1870
Ce matin, dès l’aube du jour, les cloches de toutes les églises, le canon du fort Saint-Ange, ont annoncé la solennité de l’Epiphanie du Sauveur. A neuf heures commença la grand’messe, chantée solennellement par un cardinal, dans l’enceinte conciliaire, en présence du pape et des évêques. […]
Après les fêtes de l’Eglise, les fêtes populaires, et je dois vous parler, mon cher ami, des réjouissances un peu bruyantes, il est vrai, par lesquelles les Romains célèbrent l’Epiphanie. Vous saurez d’abord qu’il est d’usage à Rome de réserver pour ce jour la distribution des cadeaux qu’en d’autres pays on fait aux enfants le premier jour de l’an. Cette coutume, très respectable, rappelle les présents que les mages offrirent à Jésus enfant. La foire des joujoux a lieu da veille de la fête de la Befana, et les Romains s’y amusent comme de vrais enfants. La fête dure toute la nuit, dans les environs de Saint-Eustache et sur la place Navona, où de nombreuses boutiques, brillamment illuminées, offrent à tous les amateurs une grande variété de jouets, de sucreries et particulièrement de sifflets. Ces sifflets retentissent sur tous les tons, de tous les côtés à la fois, et ils accompagnent les chants des jeunes gens et des enfants. On chante, on crie, on danse, on siffle, avec une gaieté franche et naïve. Au milieu de ces bruits assourdissants et ses éclats de rires de la foule, tout se passe avec la plus grande honnêteté et dans un ordre parfait.
(l’abbé Rolland, ″Promenades en Italie″, Alfred Mame et fils, éditeurs, Tours, 1876, pp. 79-83)

Naples – 1870
Nous arrivons au quai Sainte-Lucie, qui est d’une animation fiévreuse, le matin surtout, quand les pêcheurs reviennent de la pêche et déposent sur le rivage les coquillages, les poissons et tous les frutti di mare dont leurs filets sont remplis. Aux clameurs des facchini [portefaix] viennent souvent se joindre les sons aigus des pifferari [joueurs de sifflets], ou les cris de l’acquafrescaio, portant sur ses épaules, dans une boîte de tôle, les flots parfumés de citron d’une fraîche boisson, dont il sert une verre pour quatre centimes. Ce bruit, ce mouvement dure presque toute la journée.
(l’abbé Rolland, ″Promenades en Italie″, Alfred Mame et fils, éditeurs, Tours, 1876, p. 185)

Venise – 1870
A l’angle des ruelles, au passage des ponts, nous entendons des cris rauques et aigus : c’est le signal que les gondoliers échangent entre eux pour éviter les dangers d’une rencontre.
(l’abbé Rolland, ″Promenades en Italie″, Alfred Mame et fils, éditeurs, Tours, 1876, p. 291)

Bruxelles – 1870
[À l’époque, plus d’une centaine de journaux quotidiens, hebdomadaires et mensuels paraissaient à Bruxelles seulement]
On peut dire qu’il n’y a plus un passant qui n’achète son journal le matin, depuis l’ouvrier intelligent qui va à son atelier jusqu’au rentier qui fait sa promenade. […]
La plupart des journaux quotidiens ont plusieurs éditions et tous les journaux se vendent dans la rue. [En plus des kiosques], une partie est vendue par les marchands ambulants, il y en a plusieurs catégories. Les uns exploitent surtout la clientèle des cafés et des lieux publics. En été, ils circulent entre les tables placées sur les trottoirs ; en hiver, ils entrent dans les lieux publics et débitent leur marchandise. Il y en a qui ont leur poste fixe à certains endroits, aux deux issues des Galeries St-Hubert, à la porte des théâtres ou des concerts en plein vent, ou bien aux entrées du Parc ou dans les carrefours les plus fréquentés.
Il y en a d’autres qui parcourent les rues désertes des faubourgs et qui crient leur marchandise, comme on crie à Paris les pigeons de volière. Ceux-là ont chacun leur mélopée spéciale, leur petite chanson qui attire le client.
Il y aurait toute une étude à faire sur les cris de ces marchands.
Intte-pendance, edd-tion du soir, ou bien edd-tion B ou C ou D, tout simplement.
Cho d’ Pèrlement qui vient de paraître !
Nique et Journée !
Jèrnal de Bruxelles !
L’Etwelle belge, pèr demain matin !
Et invariablement : grrrand nouvelles !
Autrefois on criait in beau filleton !
(article non signé : ″Les marchands de journaux″, in : ″Illustration européenne″, 1ère année, n°7, 31 décembre 1870, Bruxelles)

Naples – vers 1871
Il y a deux mondes à Naples le moderne, la capitale vivante, remuante, bruyante, et le Musée; des bustes, des torses brisés, des bronzes. On n'imagine pas un plus grand contraste (p. 53)

Des fenêtres du couvent de San Martino qui domine de si haut la ville, on entend monter la rumeur assourdissante de cette existence foraine, tumultueuse comme la rumeur d'une puissante marée. La grande ruche s'étend tout autour du golfe immense : les maisons sont pendues aux rochers, parmi les cactus, les orangers, les aloès; il faut élever le regard jusqu'aux cimes du Vésuve et aux croupes les plus élevées de la Somma pour trouver des espaces que l'homme ait respectés.
(Auguste Laugel, "Italie, Sicile, Bohême: notes de voyage", H. Plon, Paris, 1872, pp. 56-57.)

Barcelone - 1871
Le café de Barcelone, comme presque tous les cafés de l'Espagne, est un seul vaste salon orné de grandes glaces, avec autant de tables qu'il en peut contenir. Le soir tous les cafés sont pleins. Autour de chaque petite table, il y a un groupe de cinq ou six caballeros et dans chaque groupe on joue aux dominos. C'est le jeu favoris des Espagnols. Dans les cafés, depuis la brune jusqu'à minuit, on entend un bruit continuel, assourdissant comme le bruit de la grêle, de milliers de dominos tournés et retournés par des centaines de mains, si bien qu'il faut élever la voix pour se faire entendre de son voisin.
(Edmondo De Amicis, "L'Espagne", Hachette et Cie, Paris, 1894, pp. 17-18. [trad. Mme J. Colomb])

Burgos - 1871
Dans les débits de tabac, les vendeurs testent au son la monnaie: "la première fois qu'on entre dans un de ces débits, surtout quand il s'y trouve beaucoup de monde, on a envie de rire en voyant les trois ou quatre vendeurs jeter la monnaie sur le comptoir de manière à se la faire sauter jusqu'au dessus de la tête, et la rattraper en l'air avec un geste de joueur de dés; ils font cela surtout pour s'assurer au son que la monnaie est bonne, parce qu'il en court beaucoup de fausse".
(Edmondo De Amicis, "L'Espagne", Hachette et Cie, Paris, 1894, p. 80. [trad. Mme J. Colomb])

Madrid - 1871
Place Puerta del Sol. Sur les trottoirs, qui sont larges à y faire passer quatre voitures de front, il faut s'ouvrir de force le passage; sur la longueur d'une dalle de pierre vous voyez un garde civil, un marchand d'allumettes, un courtier, un mendiant, un soldat, tous en un seul groupe. Il passe des troupes d'écoliers, des servantes, des généraux,des ministres, des paysans, des toreros, des dames, des vagabonds ruinés qui vous demandent l'aumône à l'oreille pour qu'on se s'en aperçoive pas, des entremetteurs qui vous regardent d'un oeil interrogateur, des femmes légères qui vous poussent le coude; de tous côtés des chapeaux en l'air, des sourires, des mains serrées, des gais saluts, des cris de: Largo! poussées par des porte-faix chargés et des merciers avec leur petite boutique pendue au cou; des cris des vendeurs de journaux, de marchands d'eau; des sons, de cors de diligences, des toux de vieillards, des cliquetis de sabres, des airs de guitares, des chants d'aveugles. Puis les régiments passent avec leur musique; le Roi passe; on arrose la place avec d'immenses jets d'eau qui se croisent dans l'air; les crieurs viennent annoncer les spectacles; des essaims de gamins accourent avec leurs brassées de suppléments ; il sort des ministères une armée d'employés; les musiques repassent, les magasins s'éclairent, la foule s'épaissit, les coups de coude se multiplient, le bruit des voix, le mouvement, le tapage, augmentent encore. Et ce n'est pas le mouvement d'un peuple affairé; c'est la vivacité d'un peuple gai, c'est une gaité de carnaval, une oisiveté inquiète, un bouillonnement, une fièvre de plaisir qui s'attache à vous et vous retient là.
(Edmondo De Amicis, "L'Espagne", Hachette et Cie, Paris, 1894, pp. 108-109. [trad. Mme J. Colomb])

Venise – 1874
Venise doit la qualité merveilleusement sédative de son atmosphère à l'absence de bruits.
(J.-B. Fonssagrives, "Hygiène et assainissement des villes", J.-B. Baillière et fils, Paris, 1874, pp. 109 et suiv.)

Naples - 14 octobre 1875
Nous parcourons la rue de Tolède, passablement étourdis de l'animation, du tumulte qui y règne. Non sans peine nous nous frayons un passage à travers la foule bruyante, les voitures qui circulent sans cesse, et aussi les troupeaux de chèvres qui arrivent des villages voisins et bondissent en faisant sonner leurs grelots. A ce bruit joyeux les ménagères accourent, d'antres se penchent aux balcons et, à l’aide d'un cordon, font parvenir aux mains du chevrier un vase qui leur revient, par la même voie aérienne,
rempli jusqu'aux bords d'un lait écumant. Vous jugez si ce petit tableau de moeurs locales divertit
Charlotte et Madeleine. Nous sommes témoins de scènes amusantes, qui nous persuadèrent sans peine que les Napolitains méritent parfaitement d'être appelés le peuple le plus gai de l’univers. Leur gaieté est bruyante, pétulante, assourdissante même, et elle se manifeste surtout chez les classes secondaires.
Celles-ci vivent pour ainsi dire en plein air la cuisine se fait sur la rue, les repas s'y prennent aussi, et il n'est pas rare de voir, principalement dans les vieux quartiers, chacun s'y livrer à d'intimes détails de toilettes.
(Gabrielle d'Éthampes, "Rome et Italie: souvenirs de voyage", Bourguet-Calas, Paris, 1876, p. 281.)

Naples, 18 avril 1876.
A midi, nous avons pris une de ces charmantes petites voitures découvertes qui pullulent par milliers sur toutes les places, sur les quais et dans les moindre carrefours, élégamment attelées de petits chevaux fringants qui semblent avoir du sang napolitain dans les veines, excités encore par le cliquetis de leur attelage de cuivre brillant comme de l'or et nous sommes partis, à travers cette immense ville de Naples, comme nous faisons d'habitude, pour connaître bien le champ de nos excursions. […]

Naples la ville du bruit de la vie extérieure, de l'agitation sans but et d'une nature enchanteresse à défaut de souvenirs anciens illustrant les feuillets de son histoire. Mais quelle intensité de vie dans le fourmillement de cette foule qui s'écoule pour se renouveler sans cesse, dans le concours, le croisement de voitures qu'on ne voit pas seulement, comme à Rome; de cinq à sept heures au Corso, mais de dix heures du matin à minuit, d'un bout à l'autre de la longue rue de Tolède et sur toute la ligne circulaire des quais, de plus d'une lieue d'étendue, du faubourg qui se continue sur Portici à la Margellina, au pied du Pausilippe.
(Eugène Lambert, "Voyage en Italie, lettres écrites d'Italie", Vve C. Mellinet (Nantes), 1876, pp. 30-31.)

Genève – quartier de Rive – juillet 1877
Je me sens ici dépaysé, désencadré. Ce n'est pas mon site, mon milieu, mon climat, ma patrie. J'y suis en voyage, comme dans un hôtel des bords du Rhin. On n'entend que roulement de voitures, claquements de fouets, tintements d'enclumes, sifflets de locomotives, cloches de steamers, orgues de Barbarie ou ronflements d'orchestre, en d'autres termes vacarme technologique, tapage de vie ci-vile, commerciale ou mondaine. Tout cela disperse, agite, distrait, fatigue celui qui veut méditer: tout lui dit: Remue, fais tes affaires, cours au plaisir; rien ne lui dit: Recueille-toi et pense. Ce quartier mon-danise l'âme et la rend vulgaire. L'âme ne regarde ici la nature que comme un atelier, une usine, une gare, une auberge ou une foire.
(Amiel, "Journal", juillet 1877, in: "Le voyage singulier – Regards d'écrivains sur le patrimoine Genève. Rhône-Alpes", Editions Zoé & Paroles d'aube, Vénissieux & Carouge-Genève, 1996, p. 21)

Paris - 28 juin 1878
La grande place irrégulière de la Bastille, spectaculaire et tumultueuse, sur laquelle débouchent quatre boulevards et dix rues, et d'où l'on entend le grondement sourd du vaste boulevard Saint-Antoine. Mais l'on est encore abasourdi par le vacarme de la grande gare lugubre où l'on est descendu, fourbu et somnolent, et ce vaste espace plein de lumières, toutes ces couleurs; la grande colonne de Juillet, les arbres, le va-et-vient frénétique des voitures et de la foule, c'est tout juste si on les entrevoit. C'est le premier souffle impétueux et sonore de la vie de Paris, et on le reçoit les yeux mi-clos. On ne commence à voir nettement que sur le boulevard Beaumarchais.
Ici Paris commence à apparaître. [...] Entre les deux rangées d'arbres vont et viennent des fiacres, des fardiers, des voitures tirées par des machines à vapeur et des omnibus très hauts, chargés de passagers, qui cahotent sur le pavé inégal dans un fracas assourdissant. mais ce n'est pas le même mouvement qu'à Londres. L'espace ouvert et verdoyant, les visages, les voix, les couleurs, donnent à ce remue-ménage l'aspect d'un divertissement bien plus que d'un travail. (pp. 8-9)

Nous arrivons enfin à la Seine. [...] Devant et derrière nous, les immenses ponts confondent leurs arches de toute forme et les traînées noires de la foule qui grouille derrière leurs parapets; dessous, les bateaux chargés de têtes se suivent de près; des troupes de gens descendent continuellement par les escaliers qui conduisent aux rives et se pressent aux abords des cales; et la voix confuse de la multitude se mêle aux chants des milliers de femmes coude à coude dans les lavoirs, au son des cornes et des cloches, au vacarme des voitures des quais, à la plainte du fleuve et au murmure des arbres des deux rives, agités par un petit vent vif qui fait sentir la fraîcheur de la campagne et de la mer.
(Edmondo De Amicis, "Souvenirs de Paris", Editions Rue d'Ulm, Paris, 2015, p. 20. [trad. Alberto Brambilla et Aurélie Gendrat-Claudel])

Lisbonne, 1879
Le Portugal a emprunté à l'Angleterre la coutume de faire de la Noël le grand jour de fête de la nouvelle année [...] il n'est pas de famille portugaise qui n'achète, pour célébrer cette solennité, un peru, autrement dit un dindon. Toujours est-il que huit, dix et même quinze jours avant Noël on rencontre, on heurte, on marche dans les rues de Lisbonne sur des troupeaux de dindons faisant la roue, trottinant, conduits par des hommes, des femmes, des enfants, armés de longues perches, destinées à maintenir la troupe emplumée en bon ordre dans l'alignement.
Tous ces pasteurs annoncent leur marchandise par des cris de perus! perus! (dindons! dindons!). Du reste, la marchandise s'annonce fort bien elle-même, car personne n'ignore que la gent dindonnière est d'une éloquence rare, quoique peu variée dans ses notes.
[...] Il y a à Lisbonne presque autant d'églises que de rues, et chacune d'elles, outre ses cloches, possède un carillon sonore, aigu, vinaigré, qui lutte avec ses voisins à qui fendra l'air des sons les plus criards. Lîle sonnante de Rabelais est un sépulcre, une tombe muette auprès de ce lieu-ci. Il faut être né dans le pays et avoir sucé à la mamelle ce jus de bronze en branle, pour ne pas devenir fou ou enragé.
Jugez-en. Les cloches ordinaires font la conversation pour les morts, les nouveaux-nés et certaines catégories d'offices que je ne connais pas bien. De plus, chaque église possède une cloche spéciale pour sonner les incendies et inviter les porteurs d'eau à aller verser leur tonnelet sur le brasier. Au moindre feu de cheminée, au plus petit indice de fumée, en avant les cloches! Qu'il soit midi ou qu'il soit minuit, toute la ville est réveillée, tressaute, est mise en mouvement. Ce petit manège se répète souvent plusieurs fois dans la même nuit.
(Princesse Rattazzi, "Le Portugal à vol d'oiseau", Degorce-Cadot, Paris, 1879, in: "Voyages au Portugal aux XVIIIè et XIXè siècles", Pimientos, Lisbonne, 2005, pp. 404-405)

Stockholm – 1879
Au loin, en bas [du jardin de Mosebacke], au dessous de lui, grondait la ville; les grues à vapeur ronflaient dans le port; les barres de fer cliquetaient dans les docks; les sifflets des éclusiers retentissaient; les vapeurs fumaient près du quai; les omnibus de Kungsbacke sautaient avec fracas sur la chaussée bombée; tumulte et rumeurs à la halle aux poissons, voiles et drapeaux flottant sur le fleuve, cris des mouettes, clairons de Skeppsholm, commandements de la place de Södermalm, claquement de sabots des ouvriers dans la rue de la Verrerie, tout donnait une impression de vie et de mouvement […]
Sept heures sonnaient maintenant à Sainte Catherine, et Sainte-Marie l'accompagnait de son soprano mélancolique; la Grande église et l'église Allemande firent chorus avec leurs basses, et tout l'espace vibra bientôt du son de toutes les sept heures de la ville, mais quand elles se furent tues l'une après l'autre, on entendit encore longtemps tout au loin la dernière chanter son paisible chant du soir. Elle avait une tonalité plus haute, un timbre plus pur et un rythme plus rapide que les autres.
(August Strindberg, "Le cabinet rouge", Editions Climats, Bibliothèque des ombres, Castelnau-le-Lez, 2004, pp. 8-9. [ trad. Etienne Avenard])

Naples – 16 novembre 1880
Je suis allé à l’immense Villa Nazionale, sur ces quais de la Chiaja. J’ai écouté la musique, j’ai vu défiler les innombrables calèches. [ …] La promenade de la Villa est triple : une large rue pour les voitures, qui y passent huit ou dix à la fois dans un bruit de tonnerre et une rapidité de foudre ; deuxièmement, une petite contre-allée où caracolent les cavaliers, voire même les amazones ; en troisième lieu, cette "Villa Nazionale", immense plaine de terrains pris sur la mer, plantée d’arbres, […] et où l’on peut, à une assez grande distance du bruit des voitures, écouter les musiciens.
(Abbé Pille, "Suisse & Italie" notes de voyage", Rousseau-Leroy, Amiens, 1895 p. 273.)

Londres – 1884
Je voudrais plaider ici pour toi, ô dimanche anglais, toi, si moqué, si calomnié, si délicieux pourtant ! Je voudrais dire la douceur de ton vaste silence et comme l'âme du repos qui flotte dans ton atmosphère immobile. N'es-tu pas réellement une bienfaisante mort de chaque semaine, comme le sommeil, dit quelque part Shakespeare, est une bienfaisante mort de chacun de nos jours? … pas un bruit ne trouble la quiétude endormie de la rue. A peine si, de temps à autre, le roulement d'une voiture qui passe au loin atteste que la ville est encore vivante. Mais plus de cris d'enfants qui jouent, mais plus d'appels de marchands ambulants, plus de sonneries du garçonnet qui apporte les dépêches, et c'en est fini aussi des deux coups de marteau brefs et réguliers par lesquels le facteur, après avoir glissé les lettres dans la boîte, marque son passage de maison en maison. La poste et le télégraphe s'abstiennent ce jour-là, de rappeler au commerçant ses affaires maudites, au voyageur ses lointains devoirs. La béatitude du parfait loisir tombe du ciel avec la lumière gaie de cette journée d'été. Une fois seulement, depuis le matin jusqu'au soir, cette somnolence de la petite rue est troublée par le passage de l'Armée du Salut. Parmi les ronflements des cuivres les fidèles de cette secte populaire défilent, et sur leur visage exalté rayonne l'ardeur des obscurs fanatismes, tandis qu'ils chantent éperdument et indéfiniment: "l'Agneau qui saigne! L'Agneau qui saigne!" Ils s'éloignent et de nouveau la petite rue aristocratique des environs de Hyde-Park reprend sa quiétude, avec ses coquettes maisons, que des jardinets bien tenus précèdent et que des jasmins revêtent de leurs branches fleuries.
(Paul Bourget, "Etudes Anglaises", Plon, Paris, 1906, pp. 324-325.)

Naples, 25 octobre 1892
Rien de curieux comme l'aspect de Naples d'abord : il y a sa saleté absolument hors de pair; les pavés sont inégaux et boueux, les rues remplies de tas d'immondices qui doivent sans doute y rester la semaine entière; mais il y a tant de mouvement et de gaieté dans ces rues qu'on oublie leur malpropreté !
Chacun y vit à sa guise et y fait tranquillement ses petites affaires; le charron met ses outils au milieu de la rue et les ménagères lavent en pleine voie publique leur linge qu'elles étendent ensuite triomphalement tout !e long des murs de leurs maisons. Puis ce sont les marchands ambulants, marchands de raisins, de figues, de cocos, de pâtisseries plus ou moins appétissantes, de marrons, de coquillages, les écrivains publics entourés de leurs clients, puis les cris et les disputes de toute cette foule, auxquels se mêlent les petites exclamations gutturales des cochers pour faire marcher leurs petits chevaux tout couverts d'un harnachement à clous dorés et de petites girouettes en cuivre poli surmontant le collier. Tout cela s'agite, remue, crie, se bouscule, gesticule avec une exubérance de vie qui fait plaisir à voir; l'existence entière des Napolitains se passe dehors à respirer la brise, à s'enivrer de chaleur et de soleil.
(Gaston de la Bévière, " Un voyage en Italie : journal au jour le jour" Angers, Lachèse, 1894, pp. 85-86.)

Venise, mai 1897
La première chose qui frappe l'ouïe du voyageur arrivant à Venise, c'est le remplacement du bruit de cornes et de grelots cyclistes par les mélancoliques clameurs des gondoliers.
(Alphone Allais, "à l'œil", Flammarion, Paris, 1921, p. 287)

Florence - 1899
Puis midi sonnant aux campaniles de marbre, les rues pleines de soldats défilant aux fanfares redoublées.
(Ernest Tissot, "les sept plaies et les sept beautés de l'Italie contemporaine", Perrin et Cie, Paris, 1900, p. 60)

Les gares, XIXè siècle, France
L'aboyeur
On l'appelait ainsi car, sans le truchement du moindre microphone ou du plus modeste haut-parleur, et pour cause, cet agent annonçait l'arrivée et le départ des trains ainsi que les différentes correspondances.
On le choisissait parmi les facteurs ou les hommes d'équipe pour sa forte voix et sa diction. Il était très fier de cette distinction et s'efforçait de la justifier en étudiant avec soin les effets de l'acoustique, très particulière, de ce "hall".
L'aboyeur savait qu'il fallait donner un coup de gueule à la hauteur du deuxième, du quatrième et du sixième pilier, mais que s'époumoner ailleurs était absolument inutile.
Il était chargé, en même temps qu'il "aboyait" (c'était le terme professionnel), de parcourir le quai de la tête à la queue du train, en ouvrant les portières aux voyageurs maladroits. […]
Au moment du départ, il parcourait à nouveau toute la longueur du convoi en "chantant" l'annonce des différentes gares desservies.
Je dis qu'il "chantait", car c'était vrai. Pour se faire entendre par-dessus tous les bruits, les chuintements, les sifflements, les grondements, les coups de tampon et le brouhaha qui remplissait la grande nef de verre, il fallait connaître la technique du chant.
J'ai eu les confidences d'un magnifique et très vieil "aboyeur" de la gare de Dijon-Ville, le père Courtiat, qui m'a livré plusieurs de ses secrets. […] "Il faut, me disait-il, faire des queues aux mots, il faut porter sa voix, la placer dans le masque, et contrôler l'émission comme un artiste de l'Opéra !"
Comme l'aboyeur devait, en même temps, ouvrir, fermer les portières et renseigner la clientèle, cela donnait à peu près ceci, en ce qui concerne la gare de Dijon-Ville, par exemple, et avec l'accent local:
"Dijan!...Dijan!...Di(x) minutes d'arrrrêt buffait! Les voyageurs pour … descendez vite, ma petite dame …Lyan… Mâcan… Avignan… Appuyez-vous sur moi, n'ayez pas peur … changent de train!
Ou bien:
"… Les voillageurs pour … pressons, pressons le train va partir … Tonnerre, Paris … Allez, allez, les amoureux! Qui trop embrasse manque le train… en voiturrrre, s'il vous plaît!"
(Henri Vincenot, "la vie quotidienne dans les chemins de fer au XIXè siècle", Hachette, Paris, 1975, pp. 78-80)

Chantiers de construction de chemin de fer – XIXè s
On a conservé longtemps, dans les villages français, le souvenir des déplacements de ces chantiers de la ligne. On disait que c'était aussi beau qu'une armée en marche.
Lorsque le chantier "tirait à sa fin", c'était les bûcherons et les essarteurs qui partaient les premiers. […] Puis venaient les fantassins: compagnons de tous métiers, groupés par corporations et chacune avec son costume particulier […] Puis les manœuvres. Enfin venait la cavalerie: chevaux, mulets, en équipages, les harnais graissés, le toupet et la queue natté de paille, l'œillère fleurie d'un bouquet de saison […] "Une seule route, une seule voix et tous les grelots." Oui, des grelots, il y en avait, tous astiqués et sonores, de toutes les tailles, de tous les sons.
Quand je dis "de tous les sons", j'exagère, car je ne sais pas si tu l'as remarqué, coquin, mais les grelots et les sonnailles étaient accordés. On n'en faisait, en effet, que de cinq tonalités: le do, le ré, le mi, le sol et le la. Si bien qu'un attelage en marche donnait toujours l'accord de "la septième", avec la petite dissonance de ré qui vient discrètement émoustiller le cheval… et le cocher, et faire vibrer le cœur des filles !
Bref. Loin, très loin derrière, les couples de bœufs sous l'aiguillon des galvachers qui chantaient leur mélopée.
(Henri Vincenot, "la vie quotidienne dans les chemins de fer au XIXè siècle", Hachette, Paris, 1975, pp. 34-35)

Troupeaux- France – XIXè s
Le Morvandiau se louait aussi comme " bœutier", comme "toucheur" ou comme "galvacher": des espèces de cow-boys en blouse bleue, qui vous prenaient, en plein Auxois, un troupeau de vingt bœufs gras et qui l'emmenait, à pied, en douze ou quinze jours, à La Villette pour les Parisiens, ou vers Lyon-Mouche. […] Ces troupeaux passaient dans les villages, annoncés de loin par les cris prodigieux de l'homme et de son chien. […]
On entendait de loin piétiner les bêtes qui trottaient, l'œil effrayé, le mufle humide, avec de petits beuglements d'épouvante, et par-dessus ce grondement auréolé de vapeur lourde, c'étaient les cris du "fou des bœufs" qui commandait à son chien: "Amène, amène ! tiais ! va là-bas ! amène, amène !".
(Henri Vincenot, "la vie quotidienne des paysans bourguignons au temps de Lamartine", Hachette, Paris, 1976, pp. 383-384.)

Bruxelles – fin XIXè
En ce qui concerne le bruit des rues au siècle passé, toute comparaison est hasardeuse, puisque les mesures en décibels font défaut. Mais la lecture des vieux journaux peut nous apprendre que nos ancêtres étaient plus bruyants que nous: on parlait haut, on chantait, on se chamaillait. Les nombreux marchands ambulants criaient à tue-tête pour annoncer leur passage, souvent avec accompagnement de trompe ou de cloche, et cela parfois dès cinq ou six heures du matin, - ce qui irritait les bourgeois et les rentiers, lesquels écrivaient à leur journal pour se plaindre d'être "réveillés intempestivement par le vacarme infernal de la rue". Une bonne part de ce vacarme provenait évidemment des chevaux et des carrioles, dont les sabots et les jantes de fer produisaient, sur les mauvais pavés de l'époque, beaucoup plus de bruit que les pneus de nos automobiles sur le macadam.
(Jean d'Osta, "Notre Bruxelles oublié", Rossel, Bruxelles-Paris, 1977, p. 57.)

Paris – boulevard Montmartre – 1882
Voici le torrent ! Le boulevard est en face, à dix pas, mais pourrons-nous couper ce flot ?
[…] C'est un pêle-mêle de bêtes et d'hommes. […] L'Angleterre a le Up-road du pont de Londres, le piétinement de millions d'hommes qui, chaque matin, va s'engouffrer dans la Cité. Mais le bruit est sourd. Les cochers ne jurent point, les hommes ne parlent pas, on n'entend pas une blague, pas un rire – c'est le grincement d'une machine énorme dont les servants sont muets. Ce n'est ni le tapage d'une mêlée, ni le brouhaha d'une force, ni l'entrain d'un assaut.
(Jules Vallès, "Le tableau de Paris", librairie Gallimard, Paris, 1932, pp. 20-21.)

Londres – les Docks - 1884
Et je ne sais rien de mélancolique comme les bruits lents qui flottent au-dessus de l'eau endormie: bruit de pompe ou de sabot vidant les écoutilles; bruit de chaîne qui s'étire et qui grince; fredon d'un marin qui chante un refrain du pays; juron étouffé d'un homme de peine qui ne peut éventrer ou traîner un sac sanglot du fleuve, soupir de l'être! Des ciseaux pilleurs de crottin effleurent de leurs ailes les mâts contre lesquels les grands traverseurs d'océans, albatros et goélands, ont tournoyé dans la tempête.
(Jules Vallès, "La Rue de Londres", 1884, in: Jacques Gury, "Le voyage outre-Manche – anthologie de voyageurs français de Voltaire à Mac Orlan – du XVIIIè au XXè siècle", Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1999, p. 144-145.)

Bruxelles - 4 juin 1895
Bruxelles, c’est une capitale de province. Les bicyclistes y ont encore des trompes.
(Jules Renard, "Journal 1887-1910", Actes Sud, coll. Babel, Arles, 1995, p. 67)

Naples - 1896
Naples est la ville la plus bruyante de l'Europe. Le roulement des voitures, depuis le matin jusque fort avant dans la nuit, le claquement des fouets, les cris des marchands de la rue, les offres de toutes sortes dont il est assailli étourdissent d'abord l'étranger.
(le guide Baedeker de l’Italie méridionale, 1896) http://www.mediterranees.net/voyageurs/baedeker/naples2.html

Florence – 1896
Cette ville écrase et impressionne, les monuments encombrent les rues par demi-douzaines, les souvenirs historiques fourmillent à un point tel que l'on ne parvient pas à les distinguer, les Florentins se livrent à un spectacle d'enfer, ils crient, font claquer leurs fouets, soufflent dans leurs trombones en pleine rue, bref, c'est intenable.
(Sigmund Freud, lettre à Martha Freud datée du lundi 7 septembre 1896, in: " Notre cœur tend vers le sud" Correspondance de voyage, 1895-1923, Fayard, Paris, 2005, p. 85.)

Avila – Espagne – 1896
L’arrivée à Avila, pendant la nuit, est fantastique.
[…] aucun mouvement, aucun bruit, sauf, de loin en loin, le triste cris des veilleurs. Dans cette majesté de silence, l’ombre des clochers et des toits sur les dalles illuminées des clartés lunaires est très émouvante. On a beau vouloir se garder de toute exaltation romantique, on est trop dans une atmosphère du Moyen Age pour n’en pas sentir le charme noble et pittoresque.
(Georges Lecomte, ″Espagne″, G. Charpentier et Fasquelle, Paris, 1896, p. 44, in: "Bartolomé et Lucile Bennassar, "Le voyage en Espagne Anthologie des voyageurs français et francophones du XVIè au XIXè siècle", Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1998, p. 277)

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