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Rome - 1803
Du haut de la Trinité du Mont, les clochers et les édifices lointains paroissent comme les ébauches effacées d'un peintre, ou comme des côtes inégales vues de la mer, du bord d'un vaisseau à l'ancre.
(Chateaubriand, "Voyage en Italie", Librairie Droz, Genève- Librairie Minard, Paris, 1969, p. 99.)

Rome
A quelques heures du jour qu'on visite ces immenses ruines, on est saisi d'une sorte d'enthousiasme mélancolique. […] Le soir, quand la lune, "ce soleil des ruines", lui distribue ce demi-jour inanimé qui est la décadence et comme l'ombre d'une autre lumière, c'est aussi un tableau magique dont l'aspect vous plonge dans une rêverie solennelle.
(l'abbé A. Boulfroy, "ROME ses monuments. – ses souvenirs", 8ème éd. , Société St-Augustin. – Desclée, De Brouwer et Cie, Lille – Paris – Lyon – Marseille – Bruges – Bruxelles – Rome, p. 186)

Rome
Rome, 2 février 1787.
Il faut s'être promené dans Rome au clair de la lune, pour concevoir la beauté d'un pareil spectacle. Tous les détails sont effacés par les grandes masses d'ombre et de lumière; l'ensemble et les plus grands objets se présentent seuls aux regards. Depuis trois jours, nous avons bien et complètement joui des nuits les plus claires et les plus magnifiques. Le Colisée présente surtout un beau coup d'oeil. On le ferme la nuit; un ermite y demeure auprès d'une petite chapelle, et des mendiants se nichent dans les voûtes ruinées. Ils avaient allumé un feu par terre, et un vent léger poussait d'abord la fumée dans l'arène, si bien que la partie inférieure des ruines était couverte, et que les énormes murailles dressaient au dessus leur masse sombre. Nous nous arrêtâmes devant la grille, à contempler ce phénomène. La lune était haute et brillante. Peu à peu la fumée s'échappa à travers les murs, les crevasses et les ouvertures; la lune l'éclairait comme un brouillard. Le spectacle était merveilleux, C'est comme cela qu'il faut voir éclairés le Panthéon, le Capitole, le péristyle de Saint Pierre, les grandes rues et les places. Ainsi le soleil et la lune, tout comme l'esprit humain, ont ici une fonction toute différente de celle qu'ils ont en d'autres lieux, ici où leurs regards rencontrent des masses énormes et pourtant régulières.
(Goethe, "Voyages en Suisse et en Italie", Librairie de L. Hachette, Paris, 1868, p. 219.)

Rome – 1807
Ce n’est pas connaître l’impression du Colisée que de ne l’avoir vu que de jour; il y a dans le soleil d’Italie un éclat qui donne à tout un air de fête; mais la lune est l’astre des ruines.
(Mme de Staël, "Corinne", cité in : "Rome et l’Italie Méridionale vue par les grands écrivains et les voyageurs célèbres", ", Mercure de France, Paris, 1914, p. 83)

Rome – 3 juillet 1822
Départ de la ville de Rome, quelques minutes avant minuit, par un temps superbe et par un clair de lune si doux et si pur qu’il me restera dans ma mémoire comme le plus délicieux que j’aie vu dans ma vie.
(André Jacopssen, "Itinéraires d’un Brugeois en Italie et en Sicile (1821-1823)", Librairie Droz S.A., Genève, 2008, p. 265)

Rome – vers 1825
C’est la mode d’aller voir le Colysée au clair de lune, comme le Vatican aux flambeaux. […]
Nous nous sommes fort bien trouvés d’avoir vu le Colysée par un beau clair de lune. La lumière douce et vague qu’il répandait sur les masses caverneuses entassées autour de l’arène, ne laissait voir aucun des tristes détails de la décadence, ni rien qui rappelât la règle et le compas. Une sorte de grandeur idéale, sans couleur et presque sans forme, se montrait seule, et, au milieu d’un ouvrage artificiel composé de murs et de voûtes, on aurait cru être au fond du cratère d’un volcan éteint dont le cône escarpé s’élevait à l’entour.
(Louis Simond, "Voyage en Italie et en Sicile", vol. I, Sautelet et Cie, Paris, 1828, pp. 217-218)

Rome – vers 1827
S’il est des usages de voyageurs qui ne sont pas toujours très sensés, la visite du Colysée au clair de lune n’est pas assurément de ce nombre. Ses ruines paraissent alors grandir, et ses arcades sont véritablement resplendissantes. […] le Colysée silencieux, désert, éclairé par la pâle clarté de la lune, et dans toute la pompe de ses ruines et de ses souvenirs !
(M. Valéry, "Voyages historiques et littéraires en Italie pendant les années 1826, 1827 et 1828", Louis Hauman et compagnie, Bruxelles, 1835, p. 396)

Venise
En plein jour, il n'y a guère de poésie dans Venise, mais sous la lune charitable ses palais déchus redeviennent blancs, leurs sculptures délabrées sont cachées dans les ombres et la vieille cité semble à nouveau couronnée de la grandeur qui était la sienne il y a cinq cents ans.
(Mark Twain, "le Voyage des innocents" [1869], Maspero, Paris, 1982, p. 190).

Venise
Sempiternel leitmotiv de toute littérature consacrée à la Sérénissime: la lumière lunaire blanchit (en tous les sens) Venise, la rédime, la sauve momentanément de son irrémédiable déchéance. Alors qu'en plein jour la cité exhibe impudiquement sa lamentable vieillesse, ses innombrables mutilations et ses incurables infirmités, la nuit la rajeunit, lui rend toute sa jeunesse, toute sa splendeur d'antan. Guérissant et masquant pendant quelques heures ces plaies et ses sanies, la lune réenchante Venise, réactive ses attraits en dessinant avec netteté les contours des palais et des églises, tout en laissant dans l'ombre l'affreuse lèpre pourrissant les briques et les marbres.
(Alain Buisine, "Dictionnaire amoureux et savant des couleurs de Venise", Zulma, 32380 Cadeilhan, p. 28. )

Venise
La lune s'élevait peu à peu et commençait à montrer sa face curieuse au-dessus des toits; elle aussi avait l'air d'écouter et d'aimer cette musique. Une des rives de palais du canal, plongée encore dans l'obscurité, découpait dans le ciel ses grandes dentelles mauresques, plus sombres que les portes de l'enfer. L'autre rive recevait le reflet de la pleine lune, large et blanche alors comme un bouclier d'argent, sur des façades muettes et sereines. Cette file immense de constructions féeriques, que n'éclairait pas d'autre lumière que celle des astres, avait un aspect de solitude, de repos et d'immobilité vraiment sublime. Les minces statues qui se dressent par centaines dans le ciel semblaient des volées d'esprits mystérieux chargés de protéger le repos de cette muette cité, plongée dans le sommeil de la Belle au bois dormant, et condamnée comme elle à dormir cent ans de plus.
(Georges Sand, "Lettres d'un voyageur", Michel Lévy frères, Paris, 1857)

Arras - 1837
J’ai revu les deux places au clair de lune plus admirables encore que le jour. La nuit la couleur s’en va, il ne reste que les lignes.
(Victor Hugo, lettre du 15 août 1837, in : Victor Hugo, "Voyages – France et Belgique (1834-1837), Presses Universitaires de Grenoble, 1974, p. 263)

Pise le cimetière – juin 1838
Quand la nuit sera venue, quand la lune aura percé de son calme rayon le dernier nuage, quand le dernier Anglais, avec son sifflement importun et ennuyé, sera rentré dans son hôtellerie, glissez-vous, il est temps, dans le Campo-Santo de Pise. La nuit, qui efface tous les autres monuments, et qui les laisse dans l’ombre, remplit au contraire celui-là de mille lueurs favorables. Cette sombre verdure des cyprès s’adoucit à cette heureuse lueur. Ces grêles colonnades s’enhardissent dans ces ténèbres éclaircies, le vieux cloître s’agrandit à la faveur de cette mélancolique lumière, la lune à demi voilée projette au hasard ses faibles rayons sur tous ces restes de vieux temps : c’est le soleil des tombeaux.
Entrez donc dans cette enceinte funèbre. La porte est déjà chargée d’un sarcophage : c’est que pas une place n’a été perdue dans ce dernier asile de la mort. Ces ingénieux débris de l’art grec, de l’art étrusque, de l’art italien, à cette heure de la nuit, se montrent à vous tels qu’ils sortirent de la main de l’ouvrier. Ces marbres mutilés le matin, ces peintures à demi effacées au soleil, la limpide nuit italienne les remet en honneur ; elle complète, elle ajoute, elle agrandit, elle restaure, elle donne au temps un démenti formel, elle remplit cette solitude, elle ranime ce silence. Marchez doucement, afin qu’à cette heure les ombres errantes autour de leurs monuments vous prennent pour un fantôme. (s’en suit 6 pages de descriptions d’une suite de tombes, de sarcophages et de statues)
(Jules Janin, "Voyage en Italie", Société typographique belge, Bruxelles, 1839, pp. 97-104)

Bordeaux - 12 mars 1838
Lorsque, vers le minuit, par un beau clair de lune, on sort de la rue Sainte-Catherine, et que l'on voit à droite cette magnifique rue du Chapeau-Rouge, à gauche, la rue des Fossés de l'Intendance, en face, la place du Théâtre, au-delà la place du Tourny et les échappées de vue sur les Quinconces plantés d'arbres, on se demande si aucune ville du monde offre des aspects aussi imposants.
(Stendhal, "Voyage dans le midi", cités dans Louis Desgraves, "Voyageurs à Bordeaux du dix-septième siècle à 1914", Mollat éditeurs, 1991, p. 137)

Berne - 1839
La route s'est abaissée comme une croupe, et à ma gauche, à travers la rangée d'arbres qui borde le chemin, aux rayons de la lune, au fond d'une vallée confusément entrevue, une ville, une apparition, un tableau éblouissant, a surgi tout à coup. C'était Berne et sa vallée.
J'aurais plutôt cru voir une ville chinoise, la nuit de la fête des lanternes. Non que les toits eussent des faîtes très découpés et très fantasques ; mais il y avait tant de lumières allumées dans ce chaos vivant de maisons, tant de chandelles, tant de falots, tant de lampes, tant d'étoiles à toutes les croisées ; une sorte de grande rue blanchâtre traçait au milieu de ces constellations développées sur le sol une voie lactée si étrange; deux tours, celle ci carrée et trapue, celle là svelte et pointue marquaient si bizarrement les deux extrémités de la ville, l'une sur la croupe, l'autre dans le creux ; l'Aar, courbée en fer à cheval au pied des murs, détachait si singulièrement de la terre, comme une faucille qui entame un bloc, cet amas de vagues édifices piqués de trous lumineux , le croissant posé au fond du ciel juste en face, comme le flambeau de ce spectacle, jetait sur tout cet ensemble une clarté si douce, si pâle, si harmonieuse, si ineffable, que ce n'était plus une ville que je voyais, c'était une ombre, le fantôme d'une cité, une île impossible de l'air à l'ancre dans une vallée de la terre et illuminée par des esprits. En descendant, les belles silhouettes de la ville se sont décomposées et recomposées plusieurs fois, et la vision s'est dissipée à demi.
(Victor Hugo, "Alpes et Pyrénées", Nelson, Paris, s.d., p. 121)

Rome - 1850
On m'avait recommandé de me promener au clair de la lune: du haut de la Trinité-du-Mont, les édifices lointains paraissaient comme les ébauches d'un peintre ou comme des côtes effumées vues de la mer, du bord d'un vaisseau.
(Chateaubriand, "Mémoires d'Outre-Tombe, 1850, cité dans "Rome et l'Italie méridionale vue par les grands écrivains et les voyageurs célèbres", Mercure de France, Paris, 1914, p. 30.)

Rome
Promenade dans Rome de dix heures à minuit - 1864 Les rues sont presque désertes, et le spectacle est grandiose, tragique comme les dessins de Piranèse. Très peu de lumières ; il n'y en a que juste ce qu'il faut pour montrer les grandes formes et faire ressortir l'obscurité. Les saletés, les dégradations, les mauvaises odeurs ont disparu. La lune luit dans un ciel sans nuages, et l'air vif, le silence, la sensation de l'inconnu, tout excite et secoue.
Cela est grand, voilà l'idée qui revient sans cesse. Rien de mesquin, de commun ou de plat : il n'y a pas de rue ni d'édifice qui n'ait son caractère, un caractère tranché et fort. Aucune règle uniforme et comprimante n'est venue niveler et discipliner ces bâtisses. Chacune a poussé à sa guise sans se soucier des autres, et leur pêle mêle est beau comme le désordre de l'atelier d'un grand artiste.
La colonne Antonine dresse son fût dans la nuit claire, et autour d'elle les solides palais s'asseyent fortement, sans lourdeur. Celui du fond, avec ses vingt arcades éclairées et ses deux larges baies rondes toutes luisantes, semble une arabesque de lumière, quelque étrange féerie qui flamboie dans l'ombre.

La fontaine de la piazza Navone ruisselle magnifiquement dans le silence, et ses eaux jaillissantes renvoient en cent mille reflets les clartés de la lune. Sous cette lumière qui vacille, dans l'ondoiement incessant, les statues colossales semblent vivantes; l'apparence théâtrale s'efface: on ne voit plus que des géants qui se tordent et qui s'élancent parmi des bouillonnements et des lueurs.
Les corniches des fenêtres, les vastes balcons saillants, les rebords sculptés des toits, rayent les murs de puissantes ombres. A gauche et à droite, on voit s'ouvrir des ruelles lugubres, béantes comme un antre; çà et là se dresse le flanc noir d'un couvent qui parait abandonné, quelque haute maison surmontée d'une tour qui semble un reste du moyen âge; les lumières lointaines tremblotent misérablement, et les ténèbres s'épaississant semblent dévorer toute vie.
Rien de formidable comme ces énormes monastères, ces palais carrés, où pas une lumière ne brille, et qui se lèvent isolés dans leur masse inattaquable comme une forteresse dans une ville assiégée. Les toits plats, les terrasses, les frontons, les âpres formes enchevêtrées tranchent avec leurs fortes arêtes sur le ciel clair, tandis qu'à leurs pieds les portes indistinctes, les bornes, les tournants rampent dans l'ombre.
On avance, et tout reste de vie s'efface. On se croirait dans une ville abandonnée et morte, squelette d'un grand peuple soudainement anéanti. On passe sous les arcades du palais Colonna, le long des murs muets de ses jardins, et l'on, n'entend plus, on ne voit plus rien d'humain; seul, de loin en loin, au fond d'une rue tortueuse, dans la noirceur vague d'un porche qui semble un soupirail, un réverbère mourant vacille avec son cercle de lueur jaunâtre. Les maisons fermées, les hautes murailles allongent leur file inhospitalière comme une rangée d'écueils au flanc d'une côte, et au sortir de leur ombre, de grands espaces s'ouvrent tout d'un coup blanchis par la lune, pareils à une plage de sable déserte.
Voici enfin la basilique de Constantin et ses arcades énormes avec leur chevelure de plantes grimpantes. Les yeux s'arrêtent devant leur courbe puissante; puis soudainement, entre leurs rebords lézardés, on aperçoit le bleu pâle, l'étrange azur nocturne, comme un pan de cristal incrusté de pointes de flammes. On fait trois pas, et la divine coupole du ciel, le grand épanchement de clarté sereine, les mille pierreries scintillantes du firmament apparaissent dans le Forum vide. On marche le long des colonnes gisantes dont le tronc semble encore plus monstrueux. Appuyé contre un de ces fûts dont l'épaisseur monte jusqu'à la poitrine, on regarde le Colisée. La paroi qui est demeurée entière est toute noire et se lève d'un seul élan, colossale. On dirait qu'elle penche vers le dehors et va tomber. Sur la portion ruinée, la lune verse une lumière si vive qu'on démêle la teinte rougeâtre des pierres. Dans ce ciel limpide, la rondeur du cirque devient sensible; il forme une sorte d'être complet et formidable. Au milieu de cet étonnant silence, on dirait qu'il existe seul, que les hommes, les plantes, toute vie passagère n'est qu'une apparence; j'ai éprouvé autrefois cette sensation dans les montagnes; elles aussi semblent les vrais habitants de la terre; on oublie la fourmilière humaine, et sous le ciel qui est leur tente, on devine le dialogue muet des vieux monstres, possesseurs immuables et dominateurs éternels.
Au retour, au pied du Capitole, les basiliques lointaines, les arcs de triomphe, surtout les nobles et élégantes colonnes des temples ruinés, les unes solitaires, les autres encore assemblées en files fraternelles, semblent vivantes. Ce sont aussi des êtres calmes, mais en outre beaux et simples comme des éphèbes grecs. Leur tête ionienne porte un ornement de chevelure, et la lune pose un reflet sur le poli de leur corps de marbre.
(Hyppolite Taine, "Voyage en Italie, tome I: Naples et Rome", Hachette et Cie, Paris, 1866, pp. 30-33)

Rome - 1869
Un splendide clair de lune éclairait de sa lueur bleuâtre toutes ces belles ruines et leur donnait une apparence gigantesque et grandiose bien supérieure à celles qu’elles ont à la clarté du jour. De l’arc de Titus au Colisée il n’y a qu’un pas. La lune dardait ses rayons d’argent à travers les arcades colossales de l’amphithéâtre de Vespasien, et lui prêtait un aspect fantastique, qui, joint au silence absolu qui règne à cette heure dans ces ruines, formait un ensemble qui ne peut se dépeindre. Cette première promenade dans Rome produisit sur nous une impression profonde.
(Alfred Bruneel, "Notes et souvenirs" (Allemagne, Hongrie, Orient, Italie, Suisse), Eug. Vanderhaegen, Gand, 1869, pp. 232-233, in : Sabina Gola, "Un demi-siècle de relations culturelles entre l’Italie et la Belgique", Institut Belge de Rome, Bruxelles – Brussel – Rome, 1999, pp. 292-293)

Rome – 1871
Comme tout le monde, nous avons été voir le Colisée au clair de la lune: grimpant les degrés gigantesques du peuple-géant à l’aide de flambeaux. Quels effets de lumière ! et comme ces grandeurs grandissent encore dans ces demi-jours.
(Amédée Papineau, "Lettres d’un voyageur d’Edimbourg à Naples en 1870-1871", Editions Nota bene, Québec, 2002, p. 280.)

Avila – Espagne – 1896
L’arrivée à Avila, pendant la nuit, est fantastique. De loin, la géométrie théâtrale des créneaux se dessine sur la clarté d’argent d’un ciel de lune. Avila, jadis fortifiée, a conservé intacte sa ceinture de murailles et de tourelles, majestueux décor qui complète bien son caractère archaïque. Les tours de la cathédrale surgissent toutes noires avec une grandeur d’apparition, dans cette nuit de lumière.
[…] Dans cette majesté de silence, l’ombre des clochers et des toits sur les dalles illuminées des clartés lunaires est très émouvante. On a beau vouloir se garder de toute exaltation romantique, on est trop dans une atmosphère du Moyen Age pour n’en pas sentir le charme noble et pittoresque.
(Georges Lecomte, ″Espagne″, G. Charpentier et Fasquelle, Paris, 1896, p. 44, cité dans in: "Bartolomé et Lucile Bennassar, "Le voyage en Espagne Anthologie des voyageurs français et francophones du XVIè au XIXè siècle", Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1998, p. 277)

Venise 1901
Je ne puis non plus penser sans émotion à l'une de ces nuits de lune vénitiennes que chantent de nombreuses chansons. Par une belle soirée de mai, j'avais flâné pendant des heures sur la piazzetta ; j'étais à présent assis et me reposais au pied de la colonne de Saint Théodore en regardant le bleu du ciel nocturne, un bleu qui resterait le même pendant des heures, et les variations des lumières et des ombres à la surface de l'eau. Derrière les îles, la lune, encore invisible, qui montait, faisait ressortir avec netteté le contour du pignon de la Giudecca. L'harmonieuse silhouette d'un noir profond de San Giorgio Maggiore émergeait de l'eau comme un incroyable décor de légende; beau comme dans un rêve, l'univers insulaire se découpait sur le ciel. Entre les deux, l'eau sombre et lisse comme un miroir s'embrasait furtivement au gré des sillages argentés des bateaux et des reflets rouges et crénelés des lanternes. Cet univers imprécis, qui somnolait dans une beauté à demi cachée, semblait attendre le lever de la lune comme un désensorcellement libérateur. De la place Saint Marc parvenaient jusqu'à nous les dernières mesures du concert du soir ; la double façade pâle du Palais des Doges lançait des lueurs mattes, comme si le marbre bicolore avait conservé un peu de soleil absorbé pendant la journée.
C'est alors que, juste à côté du campanile de San Giorgio, s'éleva la lune, grosse et brillante. Des reflets blancs et éclatants fusèrent par dessus le clocher et le toit de l'église. La lagune se couvrit d'une douce et vaporeuse lumière ; quelques petites vagues soulevées par des barques scintillèrent avec un brusque éclat. Je sautai dans la première gondole venue et dis au gondolier de me mener lentement dans le Canale grande.

[…] A San Giovanni e Paolo, je descendis pour quelques minutes sur la rive. La petite piazza était éclairée par la lune ; l'éclat de la belle façade de la Scuola di San Marco attirait le regard ; la merveilleuse statue équestre de Colleoni, sévère et imposante, se détachait sur le ciel. Le puissant monument du quinzième siècle, avec sa splendeur obstinée, contraste merveilleusement avec le reste de la ville, dont la beauté est avant tout douceur et musique, contraste qui me frappa fort particulièrement ce jour là.
(Hermann Hesse, "Voyages en Italie", Josée Corti, Paris, 1992, pp. 47-49)

Gand
Je ne sais pas s’il est possible de trouver quelque chose de plus merveilleusement pittoresque que l’Hôtel de Ville, vu au clair de lune… dans la rue de la Haute-Porte.
(Alexandre Dumas père, in : "La Belgique vue de l’étranger", Edité par l’Office National du Tourisme de Belgique, Bruxelles, s.d., p. 31)

Lyon – 1907
Fusant, limpide et glacé, des hauteurs du ciel infini où frissonnent les étoiles au preste scintil, le 'calme clair de lune, triste et beau' blanchit d'une lumière de rêve l'immense panorama fluvial.
Et c'est, en un recul désespéré, Fourvières et ses deux tours contre l'azur lucide…. Et c'est jalonné de globes électriques, qui dardent à travers l'air glacé des feux bleus intenses, la haute silhouette du pont de la Guillotière, sa courbe noire, ses piles en éperons, ses arches béantes – portiques monstrueux sur des perspectives imprécises et la fuite des grandes eaux coulant à pleins bords (…).
Ce silence est tel que l'on aperçoit le sourd murmurement des flots vers les étoiles. A peine si, de loin en loin, les sonneries de clochers invisibles ou quelques sifflets de chemin de fer estompés par la distance viennent couvrir ce bruit mélancolique. Puis on entend de nouveau le grand glissement triste. Et cette rumeur tout à la fois ténue et puissante, ce clair de lune glacial, ces blanches rives désertes, évoquent à l'âme je ne sais quelle contrée de songe, quel par-delà étrange, quelles limbes d'outre-tombe.
(Esquirol, "Petits et gros bourgeois", Stock, Paris, 1907, cité dans: Bernard Poche, "Lyon tel qu'il s'écrit – Romanciers et essayistes lyonnais 1860-1940", Presses Universitaires de Lyon, Lyon, 1990, p. 53).

Paris
Cependant, la nuit, avec son art consommé des généralisations flatteuses, nous montre un Trocadéro que beaucoup n'oublieront jamais. Ce que sait faire le ciel de Paris avec un rien de brouillard et le degré d'obscurité nécessaire m'a toujours confondu de surprise. Il est une heure du crépuscule d'hiver où la ville semble livrée aux extravagances délicieuses d'un illusionniste qui voudrait nous faire prendre ce qui est pour ce qui n'est pas et créer dans l'esprit du promeneur de riches, de féeriques malentendus. Je me suis trouvé hier soir devant un prodigieux amas d'ombre, là où mon oeil cherchait une ruine médiocre. Les tours découronnées s'enveloppaient d'une brume légère où les lumières de la ville jetaient ce rose inquiétant, ce reflet d'incendie et de fin du monde qui nimbe les capitales. Comme un cratère, la partie supérieure du monument béait et un large torrent de gravats s'échappait de la salle des fêtes, mais grâce à la magie nocturne, toute vulgarité s'effaçait, et ce qui de jour n'était qu'une entreprise de démolition revêtait à présent cet air théâtral qui est comme la parure des grandes catastrophes…
(Julien Green, "Paris", Champ Vallon, Seuil poche coll. Points n°199, Paris, 1983, pp. 79-80)

Paris - le Val-de-Grâce
L'autre soir, je me promenais du côté de la rue des Feuillantines et le nom du Val de-Grâce travaillait en moi. Quand on remonte la rue Saint Jacques, à un endroit elle se resserre et devient la rue de province qu'elle voudrait être. Si la nuit est claire, si les ombres sont bien nettes et bien blanche la lumière de la lune, il arrive un moment où le flâneur le mieux informé de tout le mystère de sa ville s'arrête et regarde en silence. Paris ne se livre guère aux gens pressés, je l'ai déjà dit, il appartient aux rêveurs, à ceux qui savent s'amuser dans les rues sans question de temps alors que d'urgentes besognes les réclament ailleurs; aussi leur récompense est elle de voir ce que d'autres ne verront jamais. Paris a de plus cette particularité de se montrer la nuit mieux qu'il ne le fait le jour. On dirait qu'il attend que tout le monde soit couché. En plein soleil, il tient le discours de toutes les capitales anciennes, avec des effets oratoires qui étonnent: telle avenue est une longue période conduite avec fermeté à un terme qu'on prévoyait sans le croire tout à fait possible; telle place est un lieu commun renouvelé avec l'apparente facilité du génie. Mais dans l'ombre Paris est tout autre, et s'il parle, c'est à lui même que s'adresse son ténébreux discours. Je n'ai pas la prétention d'y entendre grand chose, mais je sais que, lorsque l'on arrive par la rue Saint Jacques à la petite place qui s'étend en arc de cercle devant le Val de Grâce, on ne peut faire que s'arrêter tout à coup, si les rayons de la lune tombent droit sur le dôme de l'église. Cela, je l'ai vu l'autre nuit. Comme un vaste écran noir, la façade restait dans l'obscurité avec ses frontons, ses colonnes et le ruban froncé de ses corniches, tous les falbalas d'un style merveilleusement suranné, tandis qu'en arrière de ce morceau d'éloquence une espèce de miracle avait lieu: la coupole s'évanouissait dans la lumière qui semblait en changer la substance. C'était comme si ce dôme s'était mué en verre et l'on s'attendait presque à voir les étoiles briller à travers cette architecture de songe.
(Julien Green, "Paris", Champ Vallon, Seuil poche coll. Points n°199, Paris, 1983, pp. 65-67)

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