Lumières du Nord
Vitet qui a visité il y a bien des années Rotterdam, Amsterdam et la Haye, a vu tout le pays « sous un ciel sombre et brumeux, sans transparence ni couleur« , M. Taine parle avec complaisance du « ciel charbonneux d’Amsterdam » et M. Charles Blanc, du « Ciel voilé » de la Néerlande. Je ne prends que ceux-là, pour ne citer que les plus illustres; mais tous les autres, anglais, allemands ou français, sont dans le même cas, et j’ai sous les yeux un guide imprimé à Londres qui parle des brouillards de la Haye! Il faut pourtant une bonne fois faire justice de cet étrange préjugé. Non, la Hollande n’est point un pays brumeux, charbonneux, sombre, sans transparence ni couleur; c’est au contraire un des pays les plus colorés et les plus lumineux qui existent. Son ciel, chargé de vapeurs, réfléchit la lumière avec une intensité excessive. Les nuages qui sillonnent presque constamment le ciel projettent sur la campagne leurs ombres lourdes, mais transparentes, et divisent ainsi la plaine infinie en grands plans tour à tour sombres ou fortement éclairés. Or, comme les couleurs ne valent que par le contraste, ces vastes bandes brunes qui rayent le paysage redoublent la coloration des parties en lumière, et la plaine qui s’étend à perte de vue devient, par cette succession de parties claires et obscures, la campagne la plus colorée peut-être qui soit en Europe. L’atmosphère, en outre, chargée d’humidité, produit sur l’œil le même effet qu’au milieu des Lagunes [de Venise]. Les contours se perdent, les lignes s’estompent, les couleurs font tache, et les teintes, n’étant plus contenues dans des limites précises, se fondent dans des harmonies d’une douceur inexprimable. Ces couleurs sont du reste d’une pureté remarquable (j’entends celles qui animent la campagne) et bien propres à se faire valoir. L’humidité constante des polders communique à ces prairies sans fin une éternelle teinte verte, toujours fraîche et vive, qui forme en quelque sorte la base du paysage. Au-dessus le ciel, et au-dessous l’eau qui reflète le ciel, sont d’un blanc d’argent ou d’un azur excessivement pâle. Puis, entre le ciel et le sol, les maisons aux toitures rouges et aux murs sombres, ou les moulins aux teintes rousses et aux ailes bariolées, complètent un assemblage de couleurs d’une vivacité inouïe. Le brun opposé au blanc, et le rouge au vert, peut-on rêver rien de plus chaud et de plus énergique? Pour tous ceux qui ont parcouru les campagnes de la Hollande, qui ont navigué sur ses fleuves, traversé ses polders, ce spectacle est si frappant, qu’on se demande commentant d’hommes de talent et de goût ont pu passer à côté de ces spectacles sans en saisir le caractère. Un fait cependant aurait dû les faire réfléchir. A défaut de la nature, il leur eût suffi de contempler les œuvres des paysagistes. Ou les tableaux de Ruisseau, d’Hobbema et de Paulus Potter sont autant de mensonges, ou bien la nature hollandaise est autre qu’on ne l’a dépeinte dans les livres, et son ciel n’est pas, comme on le dit si complaisamment, « sombre et brumeux, sans transparence ni couleur.« (Henri Havard, « Amsterdam et Venise », Plon, Paris, 1876, pp. 582-584)
Lumières de Venise
De l’influence du climat sur la formation de la peinture vénitienne.
Là, en effet, où une brume légère règne perpétuellement dans l’atmosphère ; là où une vapeur argentée s’interpose entre l’œil et les objets qu’il contemple, les contours se trouvent estompés, les lignes perdent de leur netteté ; par contre les couleurs « font tache« , et prennent une intensité excessive. En même temps, et comme conséquence de leur indécision de formes, les taches colorées ont une visible tendance à se fondre sur leurs limites, et de cette fusion de tons vivaces, il résulte une harmonie brillante qui séduit l’œil et le charme. Or, c’est par l’œil, il ne faut pas l’oublier, que se fait toute l’éducation du peintre. Jamais un raisonnement n’aura sur lui l’influence d’un spectacle vu. Parlant aux yeux, c’est par ceux-ci qu’il lui faut apprendre le langage dans lequel il doit s’exprimer. Dès lors, on comprend pourquoi les contrées humides et brumeuses façonnent tellement certains talents à l’image des spectacles qu’elles leur font voir, et pourquoi non-seulement Venise, mais encore la Hollande, la Flandre et l’Angleterre ont été des pépinières de coloristes.
Dans les pays brûlés par le soleil, où l’air, desséché par la chaleur, s’est dépouillé de toute humidité vaporeuse, la perspective aérienne, au contraire, n’existe pour ainsi dire pas. Les contours deviennent alors d’une netteté et d’une précision brutales. Les formes prennent une importance extraordinaire, les couleurs dures et crues arrêtent à peine le regard. Les tons entiers et violents sont sans charme pour l’oeil. Par contre, les grandes lignes sont plus fièrement écrites, et l’esprit de l’artiste, subissant forcément l’influence des spectacles qui l’environnent, s’habitue à la prépondérance du contour. Dans ces pays, l’étude de la nature doit inévitablement produire des dessinateurs. (Henry Havard, p. 538-539.)
Sons
Valence, 1862
Le clocher de la cathédrale, qui est assez élevé, s’appelle le Micalet ou Miguelete, du nom d’une énorme cloche et qui sert à annoncer aux laboureurs de la huerta les heures des irrigations. (Charles Davillier, Gustave Doré, « Voyage en Espagne », Stock+, Paris, 1980, p. 49.)
Venise, 1876
Les gondoliers vénitiens n’ont pas perdu leur merveilleuse habileté. Rien n’est plus intéressant que de les voir dans des canaux étroits et tortueux se croiser, se dépasser et s’éviter avec une adresse incroyable.
À chaque tournant, ne pouvant s’apercevoir ni entendre, car la gondole dans sa marche ne fait aucun bruit, ils s’avertissent par un cri bizarre et monotone de la direction qu’ils doivent prendre ou des évolutions qu’il leur faut faire. Sia premi (nous suivons ici la prononciation) veut dire « prenez à droite » ; sia stali, « prenez à gauche »; sia di lungo, « allez tout droit ». A tout instant, l’un de ces cris stridents vient fendre l’air et troubler pour quelques secondes le silence léthargique dans lequel repose la somnolente cité.(Henri Havard, « Amsterdam et Venise », Plon, Paris, 1876, pp. 304-305)
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