Odeurs
Bucarest, années 30
Je voulais dire simplement l’impression désespérante que me fit Bucarest dont ma mère m’avait dit que c’était une ville plus belle que Paris, pour me décider à venir. Je me suis promis de ne plus vivre dans cette ville ni dans ce pays. […] Les maisons basses et sales, les rues étroites, l’aspect des gens dans la rue, l’odeur des saucisses que l’on mangeait dans les restaurants en plein air que l’on appelait improprement des jardins d’été … (Eugène Ionesco, « Un homme en question », Gallimard, Paris, 1979, in : « le goût de Bucarest », Mercure de France, Paris, 2010, p. 15.)
Sons
Turin, 1951
Ce matin, j’ai été réveillé de bonne heure par les oiseaux qui se battaient dans les arbres. Je viens au balcon. Ma chambre donne sur le Corso Francia. Je surplombe d’un étage une station de bus où les gens attendent. Ce sont sans doute es employés de bureau et des dactylos qui vont aux usines de Rivoli. Ils ne font pas plus de bruit que les oiseaux, mais ils en font autant. Il n’y a pas encore dans le trafic ces cocasses motocyclettes semblables à des chaises percées et qui emportent les beaux pétaradants, ou des messieurs à serviettes de cuir. Du côté de là, on entend trotter un cheval sur les pavés et rouler les roues cerclées de fer d’une charrette. Un vannier, un chiffonnier ou un marchand de peaux de lapin joue d’une petite trompette et de temps en temps pousse un cri bien réglé dans la cadence du trot du cheval. Le bus à trolley qui emporte finalement mes dactylos ronronne à peine comme un chat. C’est le moment où dans les villes on entend quelques fois les arbres. (Jean Giono, « Voyage en Italie », N.R.F., Gallimard, Paris, 1953, pp. 23-24.)
Venise, 1951
Le silence de Venise peut être utilisé sans fatigue pour la jouissance (et pas banale) de toute une vie. Il a cependant la qualité des grands silences. Depuis que j’ai débarqué (et c’est le mot) à Autorimessa, j’éprouve ce pour quoi depuis toujours et partout tant d’hommes de qualité ont fui le monde, et qui peut être défini de la façon suivante: un sens qui sert rarement au plaisir sert enfin au plaisir. (Jean Giono, « Voyage en Italie », N.R.F., Gallimard, Paris, 1953, p. 115.)
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